23 Juin 2016

Allô docteur ? Mon corps passe en micropesanteur !

Dans l’espace, en micropesanteur, notre corps est tout chamboulé. Les astronautes qui séjournent à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS) sont donc très surveillés pour atténuer les effets néfastes de l’impesanteur sur leur organisme. Mais aussi pour mieux comprendre le fonctionnement du corps humain et… Améliorer la santé des terriens.
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Le corps déconditionné

L’humain est un terrien. Nous sommes fait pour vivre les pieds sur Terre, et notre organisme est adapté à cet environnement. En particulier aux effets à la gravité terrestre. Depuis l’apparition des premiers hominidés sur Terre, il y a quelques 7 millions d’années, le corps humain a évolué sous une contrainte constante : se tenir debout et se mouvoir librement malgré la gravité, la force d’attraction de la Terre, à laquelle il est soumis en permanence.

Peau, organes, fluides… tout les éléments qui nous composent sont irrésistiblement attirés vers le bas. Cette force naturelle qui nous attire vers la Terre conditionne notre organisme, conçu pour la contrer. Par exemple, notre cœur travaille sans relâche pour faire remonter le sang vers les parties supérieures du corps. Cette « pompe » assure ainsi l’irrigation sanguine de tous nos muscles et de notre cerveau.

En micropesanteur, notre corps flotte librement, plus d’effort à fournir. Crédits : ESA.


Une machine bien huilée

Pour tenir debout, nous mouvoir et bouger nos membres, nous avons développé des muscles solides et astucieusement répartis. 60 % de ces muscles sont dits “antigravique ”. Ils s’opposent à la gravité dont ils compensent les effets. Ce sont par exemple les muscles qui nous permettent de tendre ou de plier nos bras et nos jambes.

Le squelette

Et pour porter tout ça, nous disposons d’un squelette qui a la particularité de se régénérer tout au long de notre vie. Plus les muscles le sollicitent, plus il est solide. Tout cela, grâce à notre organisme qui est capable d’absorber et de transformer les nutriments (vitamines, minéraux, lipides, glucides, etc… ) utiles à son développement ou à son fonctionnement. 

Les astronautes doivent apprendre à se mouvoir en dehors de la gravité terrestre. L’entraînement en piscine aide à simuler cet état. Crédits : ESA.


Panique à bord

Hors gravité, ce bel équilibre est bouleversé. Durant ses 1ers jours dans l’Espace, l’astronaute ressent souvent des sensations étranges : sa tête gonfle, il est désorienté et peut avoir des nausées. Ce « mal de l’Espace » s’attenue en général rapidement, car l’organisme s’adapte. Un peu trop.

Les os s’allègent, le débit sanguin se réduit, les muscles fondent… plus il séjourne dans l’Espace, plus l’organisme perd les caractéristiques utiles à son fonctionnement sur Terre. Un retour difficile en prévision ! C’est pourquoi les astronautes sont sous haute surveillance et que tout est fait pour préserver leur condition physique.

Après 6 mois dans l’Espace, les astronautes ont du mal à tenir debout. Crédits : ESA/S.Corvaja.

L’Espace dans un lit

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Immersion sèche

Pour tester le comportement du corps hors gravité, des examens sont également pratiqués… à Terre. Dans la clinique du Medes, le centre de médecine spatiale à Toulouse, des volontaires passent ainsi 3 mois au lit, la tête légèrement inclinée vers le bas. Cette position couplée à l’inactivité, simule les effets de l’impesanteur. Autre méthode : l‘immersion sèche. Le ou la volontaire est plongé dans l’eau, dont il est protégé par une couverture plastique. L’eau le porte et annule la pesanteur, mais il reste au sec.


Un labo idéal

En micropesanteur, lorsqu’il n’est plus soumis à la gravité, le corps humain se dégrade, comme s’il vieillissait en accéléré. Un objet d’étude idéal pour comprendre les modifications de notre organisme. Et apprendre à soigner les maladies liées au vieillissement et à la sédentarité. Un astronaute peut perdre jusqu’à 20 % de sa masse osseuse en six mois. Et il lui faudra deux à trois ans sur Terre pour les récupérer. Eventuellement. Car il n’est pas certain de retrouver tout son capital osseux.

À bord de la Station Spatiale Internationale (ISS), mais aussi avant et après le vol, on surveille ce phénomène de décalcification dû à une perte de minéraux (calcium, potassium et sodium). Dans les laboratoires terrestres et dans l’ISS, on teste les façons de freiner cette perte osseuse ainsi que la perte musculaire, par exemple par 2 heures minimum d’exercices d’endurance (tapis de marche) et en résistance musculaire (machine à poids type A-Red — voir photo), et on étudie ce qui favorise leur récupération.

A bord de l’ISS, le dispositif d’exercice en résistance A-Red enregistre aussi l’impact des exercices sur les muscles et les os. Crédits : NASA/ESA.


Sens dessus-dessous

A bord du zeroG

À bord de la station spatiale, mais aussi dans l’avion ZeroG, les scientifiques testent les effets de la micropesanteur sur la perception, l’équilibre et la motricité.
Crédits : CNES/S. Rouquette.

 

En micropesanteur, nos sens sont bouleversés, car notre organisme reçoit des informations contradictoires. Par exemple, entre celles perçues par les yeux et l’oreille interne, l’organe qui maintient notre équilibre en coordonnant les mouvements de la tête, du cou, du tronc et des yeux.

Le sommeil, mais aussi la concentration et la capacité à s’orienter et à coordonner ses mouvements sont altérés. En étudiant ces perturbations de notre système nerveux, on améliore notre compréhension de son fonctionnement. Cela aide à la mise au point de traitements pour soigner ou prévenir les troubles de l’équilibre ou de la motricité (maîtrise des mouvements).



Le cœur en vacances

Plus besoin de faire remonter le sang vers le haut du corps, ni d’approvisionner autant les muscles qui fournissent moins d’efforts que sur Terre : en micropesanteur, le cœur est en vacances. Le souci c’est qu’il est lui aussi un muscle qui peut s’affaiblir. En activité réduite, il se rétrécit par exemple. L’ensemble des artères, les principaux vaisseaux sanguins aussi.

Ces effets sont proches de ceux induits par un mode de vie sédentaire et des maladies qui en découlent (problèmes cardiaques, de circulation sanguine, artères sclérosées,… ). Or, la sédentarité touche une partie toujours plus grande de la population. C’est pourquoi on s’intéresse tant à leur étude.



Depuis 2008, le dispositif franco-allemand Cardiolab recueille des données sur le système cardio-vasculaire des astronautes (rythme cardiaque, pression sanguine, etc.).
Crédits : NASA.

Un laboratoire physiologique dans l’ISS

Dans l’ISS, à 450 km au dessus de nos têtes, un laboratoire grand comme un autobus est truffé d’équipements et de matériel scientifique. C’est le laboratoire européen Columbus. Modulable, il s’adapte aux différentes expériences programmées et aux équipements régulièrement embarqués. Les astronautes y conduisent environ 500 expériences par an, dont une grande partie sur le comportement du corps humain.


À la santé des terriens

La recherche et la médecine spatiales permettent de développer des techniques de soin, de prévention et d’analyse innovants. Durant son séjour dans l’ISS, entre novembre 2016 et mai 2017, le français Thomas Pesquet utilisera notamment un échographe télé-opérable. Cet appareil observe différents organes, vaisseaux et tissus de l’organisme grâce à des ultrasons transmis par une sonde que l’on fait glisser sur la peau le long de la zone à étudier.

A bord de l’ISS, l’astronaute se contentera de placer la sonde de cet appareil sur son corps puis, depuis la Terre, un opérateur spécialisé pilotera la sonde pour explorer avec précision l’organe concerné. Comme cet échographe, de nombreux outils d’analyse à distance développés pour le spatial sont utilisés en télé-médecine. Ils bénéficient à des patients habitant des zones isolées ou difficilement atteignables, par exemple  suite à des catastrophes naturelles.

L’échographie télé-opérée permet à un médecin de pratiquer des examens à distance, dans l’Espace ou sur Terre. Crédits ESA.



 L'astronaute français de l'ESA, Thomas Pesquet en entraînement à la Cité des Etoiles, à Moscou. Crédits : ESA.



Micro-scanner

Pour étudier la dégradation des os, les médecins de l’Agence spatiale européenne ont développé un micro-scanner osseux. Précis et rapide, il mesure la densité et l’architecture de l’os sans prélever des échantillons d’os. C’est donc un moyen très efficace, simple et rapide, de détecter très tôt une éventuelle détérioration de l’os, d’évaluer un risque de fracture ou encore l’effet d’un médicament ou d’exercices.

En micropesanteur, les yeux aussi sont soumis à des stress inhabituels : la pression oculaire augmente du fait de l’afflux de sang dans le crâne, et cela affecte la vue. Crédits : NASA.



Ce micro-scanner a été développé par l’ESA, l’agence spatiale européenne. Il permet de réaliser des analyses fines des os du bras et de la jambe, sans faire de prélèvement.
Crédits :  CNES/ ESA.


Des technologies spatiales à l’hôpital


Technologies, matériaux,… la médecine bénéficie aussi indirectement des avancées technologiques du spatial. Quelques exemples : L’IRM (Imagerie à Résonnance Magnétique), qui sert à explorer les organes et les tissus du corps humain, est un héritage des 1eres missions d’exploration lunaires Apollo. Un logiciel de radiographie pour détecter des tumeurs cancéreuses, lui, a été mis au point pour le télescope spatial Hubble. Des pompes cardiaques sont inspirées des pompes de carburants de la navette spatiale américaine, des prothèses utilisent des matériaux développé pour l’espace, des caméras qui surveillent la végétation terrestre depuis l’espace permettront peut-être bientôt d’analyser la peau…