UNE NAISSANCE REMARQUÉE
Ariane est l’une des réalisations importantes de l’Europe. Au-delà de la prouesse technologique, le lanceur assure aux États européens un accès indépendant à l’Espace. Pour la recherche, l’observation, les télécommunications…
Ariane propulse l’Europe dans l’espace
Quand la première Ariane décolle, le 24 décembre 1979, c’est un gros cadeau pour l’Europe spatiale : 4 ans après la création de l’agence spatiale européenne (ESA), elle concrétise la réussite de la coopération spatiale européenne.
Les pays d’Europe ont mis en commun leurs industries, leurs scientifiques et leurs moyens financiers, pour développer les technologies et les sciences spatiales. Le succès du lancement d’Ariane prouve qu’ils possèdent les moyens technologiques de cette aventure, et fait de l’Europe un des principaux acteurs sur le marché du lancement des satellites.
Un lanceur très politique
Jusque dans les années 1960, seuls les Américains et les Russes maîtrisaient les technologies pour envoyer des engins dans l’espace. Ainsi, en 1974, faute de lanceur européen, le premier satellite franco-allemand de télécommunication, Symphonie, est lancé par une fusée américaine. Aux conditions des Américains : interdiction de commercialiser ses services !
En disposant de son propre lanceur, l’Europe devient indépendante. Les pays membres peuvent lancer librement des satellites pour tous les usages qu’ils souhaitent (télécommunication, météorologie, géolocalisation, observation terrestre et maritime, etc.), pour le compte de leurs gouvernements, de sociétés privées ou de leurs armées.
La France penchée sur son berceau
La France est la fée marraine d’Ariane. Au début des années 1970, le programme de construction d’un lanceur européen, baptisé « Europa » n’arrivait pas à décoller. Les problèmes techniques s’enchaînaient et les partenaires peinaient à s’entendre.
La France avait déjà lancé les fusées Véronique et Diamant. Forte de ces succès, elle a insisté pour que le programme européen se poursuive et décidé d’en financer la plus grande partie : ce fut le début d’Ariane.
C’est pourquoi, aujourd’hui encore, l’agence spatiale française, le CNES, joue un rôle majeur dans le « monde Ariane », dans le développement du lanceur, sa fabrication, ses opérations. Et les entreprises françaises contribuent à la fabrication de nombreux éléments du lanceur. C’est aussi sur le territoire français, à Kourou, en Guyane, qu’est situé le port spatial européen, géré par le CNES.
Les deux termes sont corrects. « Lanceur » est le terme technique pour désigner une fusée, c’est-à-dire l’engin qui lance des satellites, des sondes ou des astronautes au-delà de l’attraction terrestre, pour qu’ils rejoignent ensuite l’espace.
Au CNES, la structure qui conçoit les lanceurs et est chargée de la gestion technique de la base de lancement de Kourou s’appelle d’ailleurs la Direction des lanceurs (DLA).
LES BONS CHOIX TECHNOLOGIQUES
Des centaines de tirs réussis et des améliorations technologiques régulières : en 40 ans, la famille Ariane s’est imposée comme la plus fiable et la plus performante sur le marché de la mise en orbite.
Ariane la conquérante
Plus de 105 tirs depuis son premier vol en 1996, 216 satellites mis en orbites. Côté palmarès, Ariane 5 s’impose sur le haut du podium ! Ce succès, elle le doit à son héritage et au pari technologique pris par ses concepteurs. Dès son origine, Ariane a pris le contrepied des Américains, ses principaux concurrents, qui ont développé une navette réutilisable, lancée en 1981. Ce choix devait leur assurer le transporter des charges importantes tout en réduisant les coûts. Après deux accidents mortels en 1986 et 2003, le programme de navette américaine a été arrêté en 2011.
Pendant ce temps, les fusées Ariane ont gagné en puissance, particulièrement à partir d’Ariane 4. Car les besoins allaient vers des satellites toujours plus gros — notamment des satellites de télécommunication qu’il fallait envoyer en orbite géostationnaire, à 36 000 km au-dessus de la Terre — ou vers des lancements de plusieurs satellites en même temps, en constellation.

Tout dans le moteur
Des moteurs complémentaires et modulables, tel est le secret d’Ariane. Le lanceur européen possède deux types de moteurs, à propergol solide et à ergols liquides (voir encadré ci-dessous), déclinés en plusieurs versions.
Les moteurs de décollage, appelés boosters, fonctionnent avec du propergol solide, ce sont des « moteurs à poudre ». La poudre est une solution efficace et peu chère pour obtenir l’énorme puissance nécessaire pour arracher le lanceur à l’attraction terrestre. Ce sont eux que l’on voit sur le côté de la fusée et qui crachent des flammes au décollage.
Les autres étages utilisent des moteurs à ergols liquides. Ces moteurs développent une poussée moins forte, mais pendant beaucoup plus longtemps. De quoi accompagner les charges utiles (satellite, sonde, éventuel équipage) jusqu’à leur orbite.
Sur Ariane 5, c’est le moteur Vulcain, qui équipe l’étage central (l’EPC). Il s’agit d’un moteur cryogénique brûlant de l’hydrogène et de l’oxygène liquides.
Pour l’essentiel des missions d’Ariane 5, dans sa version ECA, un étage du même type est placé au-dessus de l’étage principal ; il s’agit de l’ESC-A avec le moteur cryogénique HM7b.
Pour quelques missions particulières, un autre étage est utilisé. Il fonctionne avec des ergols hypergoliques. Leur propriété : ils s’enflamment quand ils sont mis en contact. Ce moteur est un peu moins performant, mais il est rallumable, ce qui offre davantage de souplesse d’utilisation. Il suffit en effet d’ouvrir ou de fermer la soupape qui fait entrer les deux produits dans le moteur pour allumer ou éteindre l’engin, et de doser la quantité de ces produits pour faire varier la durée et la force de la poussée. Ainsi, le lanceur peut effectuer des manœuvres précises pour changer d’orbite ou réussir un rendez-vous avec un autre engin spatial par exemple. Grâce à lui, l’Ariane 5 ES a transporté les 20 tonnes du cargo ravitailleur ATV vers la Station Spatiale Internationale (ISS), à 5 reprises, et mis les satellites de la constellation Galileo en orbite.

La famille idéale
Pour compléter les différentes offres d’Ariane 5, l’agence Spatiale européenne (ESA) a développé VEGA. Depuis 2012, ce petit lanceur de 139 tonnes pour 30 mètres de haut place en orbite basse (jusqu’à 700 km de la Terre) des satellites de taille petite à moyenne, c’est-à-dire un satellite de 1,4 tonne ou deux satellites de 500 à 600 kilos. En comparaison, l’Ariane 5 ECA, la version « classique » d ‘Ariane, haute de 50,5 mètres pour une masse de 780 tonnes, peut placer 10 tonnes en orbite géostationnaire et 20 tonnes en orbite basse.
Arianespace, la société qui commercialise et organise les lancements européens, complète actuellement cette offre avec le lanceur russe Soyouz (46 mètres de haut pour 308 tonnes) lancé depuis la Guyane. Comme la version ES d’Ariane 5, l’étage supérieur de Soyouz peut être rallumé à plusieurs reprises au cours du vol pour faire des manœuvres de mise en orbite complexes. C‘est pourquoi il est souvent utilisé pour des missions vers l’ISS.


Ergols et propergol
Le terme propergol désigne le carburant destiné aux moteurs à propulsion solide (à poudre).
Les moteurs à ergols liquides fonctionnent avec deux produits différents (un carburant et un comburant) qui sont mélangés dans le moteur où ils sont brûlés.
- Les ergols cryogéniques sont le plus souvent de l’hydrogène (le carburant) et de l’oxygène (le comburant) sous forme liquide, car ils prennent alors moins de place dans les réservoirs que sous forme gazeuse. « Cryo » signifie « froid » en grec. Car pour être liquéfiés, ils doivent être refroidis à très basse température, à – 150 °C ! Ces ergols ont besoin d’un système d’allumage pour déclencher leur combustion.
- Les ergols hypergoliques sont composés d’un carburant et d’un comburant qui s’enflamment spontanément dès qu’ils entrent en contact. De ce fait, ils sont un peu délicats à manier, mais ils sont facilement stockables, à température ambiante.
Ariane brille dans le ciel
Ariane est la fille du roi Minos (fils de Zeus et de la déesse Europe) et de Persiphae, (fille d’Helios Dieu du Soleil). C’est grâce à elle que Thésée est sorti du labyrinthe : elle lui a donné un fil qu’il a déroulé derrière lui pour repérer son chemin. Selon la Mythologie grecque, une constellation d’étoiles, celle de la couronne boréale, est faite de la couronne d’Ariane, placée dans le ciel par son mari Dyonisos.
CHANGEMENT DE GÉNÉRATION
La taille, le poids et les missions des satellites évoluent. De nouveaux acteurs bousculent le spatial et construisent des lanceurs plus performants et moins chers. Ariane doit s’adapter à ces changements. Pour cela, les Européens ont dû à nouveau se coordonner et, toujours, anticiper.
La nouvelle course à l’espace
Ariane est un programme complexe, qui implique plusieurs pays européens. Or, depuis les années 2000, en face des agences spatiales financées par les États se trouvent désormais des sociétés privées, plus réactives, moins chères. Depuis 2012, la société américaine Space X fabrique par exemple pour la NASA les véhicules Dragon, qui ravitaillent l’ISS, et les lanceurs Falcon.
Le Falcon est une vraie menace pour Ariane. Son coût de lancement est inférieur, notamment grâce à la réutilisation de son premier étage et, depuis peu, de sa coiffe. Il faut en effet savoir que jusqu’à présent, chaque fusée n’est utilisée qu’une seule fois, détruite après… Le Falcon est en plus très évolutif : il peut soit emporter des charges moyennes en orbite géostationnaire, soit des charges lourdes en orbite basse (près de 23 tonnes), soit des légères (4 tonnes) jusque vers Mars. Tout ça pour une même fusée !
Ariane 6 maintient l’Europe en course
L’heure est à la riposte européenne. Objectif, réduire de moitié le coût du lancement d’Ariane. L’arme fatale s’appelle Ariane 6. Elle volera dès 2020 et remplacera définitivement Ariane 5 à partir de 2022.
Ariane 6 existera en 2 versions : Ariane 64 avec 4 boosters, capable de lancer deux satellites en orbite géostationnaire et Ariane 62, la version de base avec 2 boosters, pour mettre des satellites de taille plus modeste en orbite moyenne ou basse (comme Soyouz actuellement).
Un des atouts d’Ariane 6, c’est son moteur Vinci rallumable. Il lui permet d’accompagner les satellites plus près de leur orbite de destination, ou vers des trajectoires particulières.
Par ailleurs, les boosters d’Ariane 6, les P12OC, propulseront également l’étage principal de VEGA-C, la grande sœur de VEGA. Ainsi, l’ensemble du programme européen réalisera des économies en fabriquant un même modèle adapté aux deux lanceurs.

Anticiper les innovations
Ariane 6 a été décidée en 2014, pour un développement ultra rapide. Pas de répit cependant. « Ariane 6 ne suffira pas », prévient Philippe Pascal, Sous-Directeur Ariane à la Direction des lanceurs du CNES. « C’est pourquoi depuis 2016, les ingénieurs européens préparent le futur, le coup d’après, et développent Prometheus, un moteur dix fois moins cher que le Vulcain d’Ariane 6 ! »
Prometheus fonctionnera avec du méthane liquide, performant et, surtout, moins complexe à utiliser que l’hydrogène liquide et de ce fait, moins cher. Il sera aussi capable de faire varier la poussée au cours du vol, ce qui rend possible de propulser un étage récupérable et donc réutilisable.
Les ingénieurs mettent aussi au point des matériaux composites plus légers pour une nouvelle coiffe, nommée Icarus. Ces innovations sont testées dans le programme Ariane Next qui comprend aussi des démonstrateurs (Callipso et Thémis) pour effectuer des tests en vol. Ainsi les décideurs européens auront tous les éléments pour choisir les évolutions futures : soit poursuivre sur les traces d’Ariane 6 soit créer une nouvelle famille de lanceurs réutilisables.
