28 Octobre 2018

CFOSAT se joue des vagues et du vent

Pour la première fois, un satellite va étudier les vents et les vagues à la surface des océans. CFOSat embarque des instruments innovants pour recueillir des données inédites sur la direction, la longueur d’onde et la force des vagues. L’enjeu : comprendre leur formation, leur évolution et leur rôle sur le climat, et mieux prévoir les phénomènes de tempête.

La mer dans tous ses états

Surfer avec les vagues

« Vent Nord-Est 14 nœuds, mer peu agitée, visibilité 9 milles. » Le bulletin de météo marine donne une prévision de l’état de la mer, c’est-à-dire de sa surface soumise aux vents et aux vagues. Ces informations sont très utiles pour prévoir les parcours des bateaux, se prémunir des tempêtes en mer ou à terre. Mais les prévisions sont complexes, car observer les vents et les vagues et, surtout, prévoir leur évolution est très difficile. 

Plusieurs éléments déterminent en effet l’état de la mer : la hauteur des vagues (entre leur crête et leur creux), leur longueur d’onde (la distance entre deux crêtes) et la direction dans laquelle elles se propagent (si elles viennent du nord, de l’ouest, etc.). De plus, des vagues de différentes tailles, de différentes directions et longueurs d’onde se superposent et s’entremêlent et l’on peine à distinguer les caractéristiques de chacune. C’est pourquoi généralement, on utilise les propriétés des plus fortes d’entre elles pour tirer des caractéristiques générales. 

Schéma d'une vague © E. Le Merle/Latmos

Avoir les océans à l’œil

Des satellites océanographiques étudient depuis plusieurs années les comportements et l’évolution des océans. Les satellites altimétriques mesurent le niveau des océans, la hauteur moyenne des vagues et le vent de surface. Des satellites optiques comme Sentinel 1 produisent des images radar. Mais leurs observations des vagues sont incomplètes, soit parce qu’elles ne couvrent qu’une partie des océans, soit parce que qu’elles ne concernent que les plus longues vagues.

CFOSat, satellite développé par les agences spatiales française et chinoise, est lancé ce 29 octobre 2018. Il possède deux radars originaux capables d’analyser, d’une part, le vent qui souffle en surface et, d’autre part, les vagues de hauteur, de direction et de longueur différentes, quel que soit le temps (sauf zones de pluies fortes). 

Les faisceaux du radar SWIM illuminent des cercles de 20 km de diamètre qui balayent la surface océanique sur un total de 180 km de diamètre en tournant sur eux même (cette surface balayée par les radars est appelée la fauchée). Cela permet d’apporter des informations nouvelles sur les vagues avec une grande précision et sur une large couverture! Au même moment, le radar SCAT, lui, mesure l’intensité et la direction des vents sur une fauchée totale de 1 000 km. 

Maîtres du vent et des vagues

« Les mesures combinées des vagues et du vent font l’originalité et l’intérêt de CFOSat », explique Danièle Hauser, chercheuse au CNRS - Latmos (Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales) et responsable scientifique de la mission. « C’est le vent qui forme les vagues. On va ainsi savoir quel type de vagues se créent selon telles conditions de vent, puis comment elles évoluent lorsqu’elles se propagent, la façon dont elles se comportent lorsqu’elles rencontrent des courants, des tempêtes, des petites îles, des icebergs… »

Ces mesures inédites vont en particulier améliorer les prévisions du comportement des vagues de tempête et donc leur dangerosité pour les navires ou les risques d’inondation sur les côtes. Étudier le lien entre le comportement des vagues et leur effet sur les échanges avec l’atmosphère à la surface des océans est également très important pour l’étude du climat.

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CFOsat en chiffres

  • Altitude entre 500 et 520 km. C’est une orbite héliosynchrone, c’est-à-dire que le satellite repasse toujours à la même heure au même endroit.
  • CFOSAT met 13 jours pour balayer toute la surface de tous les océans du globe.
  • 2 radars équipent CFOSAT : SWIM observe les vagues sur une bande de 90 km de large de part et d’autre de la trajectoire du satellite, SCAT mesure la direction et la vitesse des vents sur une bande de 500 km de part et d’autre de cette trajectoire.

 Océans régulateurs du climat - L'œil de l'expert

En absorbant le gaz carbonique et la chaleur de l’atmosphère, les océans contribuent  à maintenir une température stable sur la planète. Et les vagues jouent un rôle prépondérant. Les explications de Benoît Meyssignac, climatologue au Legos, le laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales. 

Comment le climat fonctionne-t-il ?

La Terre reçoit de l’énergie du Soleil. Elle en absorbe une partie et en renvoie dans l’espace sous forme de rayonnement infrarouge. Le climat de la Terre est à l’équilibre lorsque la Terre reçoit autant d’énergie du Soleil qu’elle en renvoie dans l’espace. Or, quand la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère augmente cela bloque les émissions infrarouges de la Terre et la température terrestre s’élève.

Cependant, plus la Terre chauffe, plus elle émet des rayons infrarouges dont une partie finit par s’échapper dans l’espace. Donc plus la Terre chauffe, plus la quantité d'énergie renvoyée dans l’espace augmente, jusqu’à s’équilibrer avec celle du Soleil. À terme, la Terre retrouvera donc un équilibre entre l’énergie qu’elle émet et celle reçue du Soleil, mais avec un climat global plus chaud (de 2 à 6 degrés en plus pour un doublement des gaz à effet de serre).

C’est ça le changement climatique : cet état de transition entre le moment où nous avions un climat froid à l’équilibre et celui où nous aurons un nouveau climat à l’équilibre, plus chaud. Cela va prendre des milliers d’années le temps que toutes les composantes du climat (atmosphère, continents, océan et cryosphère) s'ajustent. 

infographie interactive bilan radiatif © CNES

Infographie interactive bilan radiatif  terrestre © CNES

Quel est le rôle des océans ? 

Le rôle des océans est double. Ils ralentissent le réchauffement climatique en piégeant le CO2 de l’atmosphère et en le stockant dans les profondeurs. L’océan capture aussi une très grande partie de la chaleur de l’atmosphère : 93 % de l’énergie stockée par la Terre de la surface terrestre est séquestrée sous les océans, ce qui limite considérablement le réchauffement en surface ! Ces échanges s’effectuent principalement par le biais des courants qui capturent la chaleur en surface, dans l’Atlantique Nord (au niveau du Groenland, de la Norvège…), et l’amènent vers les profondeurs de l’océan, dans les eaux du Sud. Cette circulation des courants autour du globe terrestre se nomme la circulation thermoaline ou AMOC.

Circulation thermoaline : les grands courants océaniques © Luiz Fernandez Vargas

Circulation thermoaline : les grands courants océaniques © Luiz Fernandez Vargas

Et les vagues dans tout ça ?

À proximité de la surface, les vagues amplifient ces phénomènes d’échanges de chaleur. Les tourbillons créés par les vagues et leur déferlement vont par exemple accélérer le refroidissement des couches superficielles de l’océan. Or les plus grosses vagues se situent dans l’Atlantique Nord où la circulation thermoaline démarre, d’où l‘intérêt de comprendre leur rôle et leur évolution. 

Nous cherchons à mieux comprendre les échanges entre atmosphère et océan car les variations de l’un entraînent les variations de l’autre : quand la température de surface augmente, les vents changent. Comme ce sont eux qui conditionnent les vagues, l’état de la mer va changer, ce qui va affecter les échanges entre l’atmosphère et l‘océan et donc entraîner de nouvelles variations de température en surface qui vont de nouveau modifier les vents, etc. Nous espérons que les mesures de CFOSat nous aideront à mieux comprendre toutes ces interactions. 

Avis de tempête

Alerte inondations

Pour prévoir l’état de la mer, on distingue « la mer de vent », c’est-à-dire les vagues proches de l’endroit où elles se forment sous l’effet du vent local, et « la mer de houle », qui désigne les vagues venues de zones de tempêtes éloignées. Aujourd’hui, les prévisions qui doivent anticiper la combinaison de ces deux phénomènes s’appuient sur des calculs qui prennent en compte la longueur d’onde et la hauteur de la houle, la force et l’effet du vent, les courants…

« Grâce à SWIM, l’instrument de CFOSat, nous allons disposer de mesures uniques de longueur d’onde (distance entre deux crêtes), voir les vagues dans la tempête, observer leur direction », s’enthousiasme Fabrice Ardhuin, chercheur au Laboratoire d’océanographie et de physique spatiale (Lops). « C’est très important pour prévoir leur comportement sur les côtes et prévenir les catastrophes, les inondations notamment. »

Tempête Le Conquet © Stevenn Lamarche DR

Prévoir la force des vagues de tempête permettra de mieux prévenir les inondations. © Stevenn Lamarche

Les vagues, cruelles inconnues

« Nous ne comprenons pas bien comment fonctionnent les vagues », confie l’océanographe Fabrice Ardhuin. « Nous ne savons pas, par exemple, si toutes les vagues qui se forment à un endroit prennent la même direction ou partent dans des sens différents. »

L’évolution de la force des vagues est également une inconnue importante. On sait pourtant que l’énergie de la vague dépend de la distance qui sépare ses crêtes. Plus elle est longue, plus la vague possède d’énergie. Les mesures de période et de longueur d’onde vont donc se révéler très précieuses ! « Le problème numéro 1, explique le chercheur, c’est de comprendre combien une vague perd d’énergie quand elle se propage dans la tempête. Nous avons imaginé des règles pour établir des modèles de croissance des vagues, mais nous possédons trop peu d’observations des grosses vagues de tempêtes et de leur atténuation quand elles se propagent pour garantir leur fiabilité. »

vague pleine mer © Ifremer

Comment se propagent et évoluent les vagues ? CFOSat nous le dira ! © Ifremer

Prendre de la hauteur

La plupart des données concernant les vagues proviennent de bouées côtières. Or elle ne sont qu’une centaine en Europe de l’Ouest (dont une dizaine en France), six au large de l’Afrique, quatre aux Antilles… Avec un satellite, on couvre tous les océans !  « Les satellites océanographiques assurent aussi une observation continue des océans, avec un envoi régulier de données », souligne Danièle Hauser, responsable scientifique CFOSat. « Cela permet d’observer des évolutions dans le temps. »

C’est aussi pour cela que les missions océanographiques se succèdent, afin de donner aux chercheurs des mesures continues. Depuis 1992 il y a eu quatre satellites d’altimétrie océanique (Topex-Poseidon puis Jason 1, 2 et 3) et une dizaine d’autres satellites notamment dédiés à l’étude des océans. Et pour compléter les analyses inédites de CFOSat, d’autres missions dédiées aux vagues, à leur interaction avec les vents et les courants, sont déjà sur les rails…

Pour Aller plus loin