De la lune aux astéroïdes
Le boom du retour d'échantillons
En 2020, une petite capsule hermétique doit atterrir dans le désert australien. Elle contiendra de la matière extraterrestre, quelques milligrammes d’astéroïde. Ce sera alors la fin de la mission Hayabusa 2 dont l’un des objectifs est de rapporter sur Terre des fragments de l’astéroïde Ryugu.Ces missions dites de retour d’échantillons se multiplient depuis les années 2000, avec les progrès technologiques. En 2004 et en 2006, ce sont des particules émises par le Soleil (mission Genesis - voir partie 3) et des poussières récupérées dans la queue d’une comète (mission Stardust) qui ont été rapportées sur Terre. En 2023, la mission américaine Osiris-Rex doit rapporter de la matière d’un autre astéroïde, Bennu. Enfin, la Chine prévoit de récolter, en 2019, des échantillons de la Lune, grâce à la sonde Chang’e 5.

Pierres de lune, des échantillons historiques
Les premiers échantillons extraterrestres rapportés sur Terre proviennent de la Lune. Entre 1969 et 1972, les astronautes du programme américain Apollo ont rapporté près de 2200 échantillons. 382 kg très exactement de poussières et de roches lunaires, dont 10 % environ ont été analysés dans les laboratoires du monde entier. Le reste est conservé dans de véritables coffres-forts scientifiques à Houston, au Texas. A la même époque, l’Union soviétique a aussi réussi à rapporter 150 grammes de sol lunaire, avec les missions Luna 16 & 20.

Le Graal : Mars, d'ici 15 ans
Aujourd’hui, la poussière extra-terrestre la plus attendue sur Terre est peut-être celle de Mars. « On parle du retour d’échantillons martiens depuis plus de 30 ans, explique Francis Rocard, astrophysicien au CNES. Mais la technologie n’était pas au point. Aujourd’hui, on s’en approche. » Certains prédisent des échantillons martiens dans moins de 15 ans. En 2020 déjà, avec le rover de la mission Mars2020, développé par l’agence spatiale américaine. L’engin doit creuser le sol martien à l’aide d’une petite foreuse, puis encapsuler la carotte forée dans des tubes hermétiques. Ces derniers seront alors laissés sur place, dans l’attente de la mission Mars Sample Return qui viendra les récupérer. Une mission hors-normes, car il est très difficile d’atterrir puis de redécoller de Mars. (voir partie 3).Les Japonais, en partenariat avec le CNES, ont eux l’idée de rapporter des échantillons du sol de Phobos, un satellite naturel de Mars. Décollage annoncé en 2024 pour la mission MMX (Mars Moons Explorer).


météorites : échantillons sans frais d'envoi
Les météorites sont des morceaux d'astéroïdes, principalement, tombées sur Terre. Elles sont donc les premiers échantillons extraterrestres étudiés par les scientifiques. Mais quand elles arrivent sur Terre, elles ont été altérées par la traversée de l'atmosphère. Elles ont ensuite parfois passé des milliers d'années sur le sol, et se sont modifiées. Ci-contre : une des rares météorites provenant de la planète Mars ©Nasa/JPL-Caltech.
Des échantillons précieux pour la science
Auscultations terrestres ou spatiales
Pour comprendre notre Système solaire, on étudie les corps et la matière qui les compose. Et pour les étudier, 2 possibilités : via des sondes ou des robots qui font des expériences sur place (on parle d’expériences in-situ), comme les missions Rosetta/Philae ou InSight. Ou grâce à l’étude d’échantillons sur Terre. L’avantage, c’est que les instruments scientifiques terrestres sont plus performants, plus précis. Sur Terre, on peut analyser une roche jusqu’aux atomes qui la composent. Et pas question d’envoyer ces instruments dans l’espace. Sensibles au froid ou à la chaleur, trop gros ou trop lourds, il est impossible de les embarquer sur un satellite. Imaginez : un spectromètre de masse (pour analyser des gaz rares) pèse à lui seul plus lourd qu’un satellite.

Pour découvrir l’imprévu
Autre intérêt d’étudier un bout de Mars ou de Ryugu sur Terre : réagir en cas d’imprévu. « On découvre toujours des choses auxquelles on ne s’attendait pas », assure Bernard Marty, géochimiste au Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques de Nancy. Des découvertes imprévues qui méritent (ou pas) d’être étudiées plus profondément. Ce que peut décider de faire le scientifique, sur Terre. En revanche, les sondes et les rovers envoyés dans l’espace sont pré-programmés pour mener des expériences bien précises. Ils ne peuvent pas s’adapter, et n’ont dans leurs bagages aucun autre instrument ! Peut-être un rover martien a-t-il eu sous ses roues une trace d’une vie extraterrestre, sans la remarquer ?
Quelques grammes pour des milliers de scientifiques
La mission japonaise Hayabusa2 ne rapportera pas plus d’un gramme d’échantillons de l’astéroïde Ryugu. Alors pas question de les gaspiller. Ce sont des équipes internationales dirigées par des scientifiques japonais impliqués dans la mission qui les étudieront, en priorité. Puis après un an et demi, les laboratoires du monde entier pourront demander d’y avoir accès. Bernard Marty fait partie des scientifiques qui vont étudier ces demandes : « On regarde l’intérêt scientifique des expériences proposées, et la capacité du laboratoire à les mener à bien. Et si l’expérience est destructive ou non. » Un échantillon passé sous un microscope pourra éventuellement resservir. Pas celui qui aura été dissout dans l’acide ! Et cela se passe ainsi pour quasiment toutes les missions de retour d’échantillons. Bernard Marty a lui analysé des échantillons de comètes, d’astéroïdes, du vent solaire. « Certains nous ont été envoyés par la Poste. En revanche, les échantillons de la mission Genesis, j’ai dû aller les récupérer en mains propres auprès d’agents de la Nasa à Houston ! »
Pour les générations futures
Une partie des échantillons extraterrestres est conservée pour être analysée dans le futur, quand les recherches auront avancé et les techniques d'analyse se seront améliorées. Par exemple, un instrument d'analyse de l'azote, utilisé pour étudier les échantillons lunaires d'Apollo, est 5000 fois plus performant aujourd'hui que le même instrument il y a 40 ans !
Livraisons à hauts-risques
Des techniques de prélèvement dignes de la science-fiction !
A chaque mission, sa technique d’échantillonnage ! Et oui, on ne prélève pas un bout d’astéroïde comme on récolte un morceau de Mars. Hayabusa 2, elle, va venir toucher tout doucement Ryugu avec une sorte de trompe. Une petite bille va être alors projetée vers le sol, soulevant des poussières qui seront capturées par la trompe. Mars2020 quant à elle utilisera une petite foreuse pour prélever 31 carottes du sol ou des roches martiens et les encapsuler dans des tubes hermétiques.Et comment la mission Genesis a-t-elle récolté les ions (atomes ionisés) du vent solaire ? Et bien à l’aide de panneaux (des cibles) déployés dans l’espace : les atomes microscopiques de vent solaire filant à une vitesse folle, entre 400 et 700 km/sec, sont venues s’y encastrer. Ces panneaux étaient en or et en diamant, des matières ultra pures pour éviter toute contamination. Les ions capturés ont ensuite été renvoyés sur Terre dans une capsule hermétique. Bon, la capsule s’est crashée. Mais, les échantillons ont pu être récupérés et analysés malgré une certaine pollution des cibles !

Hayabusa 2 : encore plus loin !
Avant son 3e prélèvement, la sonde japonaise va envoyer une sorte de petite bombe sur l'astéroïde Ryugu pour y faire un cratère. La matière qui y sera pélevée sera ainsi plus "fraiche" : elle n'aura été altéréeni par le vent solaire, ni par les rayons cosmiques et ultra-violets qui parcourent l'espace.
Le vrai défi : atterrir puis redécoller de Mars
Ryugu, Bennu… Ces petits corps ont une gravité très faible. Il est donc facile de s’y poser puis d’en repartir. C’est bien différent pour la planète rouge : pour décoller depuis Mars, il faut 25 000 millions de fois plus d’énergie que depuis un astéroïde ! Les missions de retours d’échantillons martiens sont donc plus complexes et coûteuses. Mars Sample Return (MSR), qui doit récupérer les tubes laissés par Mars2020, c’est pas moins de 3 engins spatiaux : un petit robot qui fera les allers-retours pour récupérer les petits tubes scellés et les embarquer dans le 2e engin, le véhicule de lancement (MAV) qui décollera de Mars avec les tubes disposés dans un conteneur lui-même fermé hermétiquement. Puis une sonde en orbite, probablement développée par l’Agence Spatiale Européenne, récupérera le conteneur lors d’un rendez-vous spatial. Enfin, 200 jours plus tard, la sonde larguera son colis au-dessus des Etats-Unis.
Attention, risque de contamination
Une fois récupérée dans le désert australien, la capsule de Hayabusa2 sera conduite au Japon, dans un bâtiment construit exprès. Dans une énorme machine étanche et stérile, les scientifiques commenceront par récupérer le gaz qu’elle contient à l’aide d’une seringue pour l’analyser. Puis la capsule y sera ouverte via des bras manipulateurs et les échantillons seront étudiés à travers les parois : couleur, forme, rugosité… Pas question de leur faire prendre l’air et de risquer de les contaminer avec nos microbes ou nos bactéries ! Rien que l’humidité de l’air peut les modifier. Et c’est comme cela pour tous les échantillons extraterrestres. Ce n’est qu’après un an et demi qu’une partie pourra quitter son cocon stérile pour être distribuée aux scientifiques.De plus, des protocoles très stricts existent pour éviter la contamination de la Terre par la matière rapportée de l’espace. Dans le cas de MSR par exemple, si l’un des tubes s’avérait ne plus être étanche, la mission toute entière serait abandonnée. La NASA réfléchit aussi à la possibilité de tester la dangerosité de ces échantillons sur une petite station spatiale qui serait en orbite autour de la Lune (la Lunar Orbital Plateforme qui sera construit vers 2027), avant de les rapporter sur Terre.