8 Novembre 2018

Conquête de l’espace : la Chine toujours plus ambitieuse

La Chine avait pris beaucoup de retard en matière d’astronomie et d’exploration spatiale. Un retard qu'elle rattrape pas à pas. Le pays se fait un devoir de briller aussi dans ces domaines stratégiques pour lui. Il vient ainsi de fêter les 15 ans du premier taïkonaute (astronaute chinois) envoyé dans l’espace. Et il ambitionne de se doter, d’ici la prochaine décennie, d’un programme spatial à la mesure de la place qu’il tient désormais dans le monde.

Une longue marche vers les étoiles

Les feux d’artifice ouvrent le bal

« Fils du ciel » : c’est ainsi qu’on surnomme le premier empereur de Chine au 2e siècle avant JC, puis tous ceux qui vont lui succéder. Ce titre révèle la place essentielle que l’espace occupait déjà dans la Chine impériale. Les astronomes de l’époque observaient méticuleusement les étoiles. Ils ont été les premiers à signaler la présence de comètes ou de phénomènes rares comme les éclipses. Le premier observatoire « royal » a même vu le jour 2 000 ans avant avant JC… alors qu’en Europe, les observatoires nationaux n’ont été créés qu’au 17e siècle !
Pendant la période antique, c’est la technologie qui s’impose avec l’invention de la poudre et de ses prolongements aériens : les feux d’artifice d’abord, puis les flèches-fusées tirées toujours plus loin sur les champs de bataille. Les calculs des poussées nécessaires pour échapper à la gravité ne font alors que commencer…

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Les Chinois ont d'abord utilisé les fusées sur leurs champs de bataille, comme ici pour repousser les guerriers mongoles. Crédits : © MSCF/Nasa

De la patate à la fusée

« Et nous ne sommes même pas capables d’envoyer une patate dans le ciel ! » La légende veut que cette phrase ait été prononcée par Mao Zedong, fondateur de la République populaire de Chine en 1957. Il l’aurait prononcée juste après le lancement  par l’URSS du tout premier satellite de l’histoire, Spoutnik. Petit rappel : au lendemain du conflit mondial de 1939-1945, le monde s’enfonce dans une guerre froide, opposant deux blocs : l’Occident et le monde communiste. La course à l’espace est un ressort puissant de cette rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS. Mais la Chine s’y invite d’une manière inattendue : chassé d’Amérique, comme tous les communistes, l’honorable Qian Xuesen, revient en Chine en 1955. Ce scientifique de haut niveau va faire profiter son pays du savoir acquis de l’autre côté de l’Atlantique. Il deviendra même « le père » du programme spatial chinois naissant. Dont la première réussite est le lancement de la fusée Longue Marche 1, le 24 avril 1970. Ce jour-là, c’est une nouvelle puissance spatiale qui décolle !

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Les 3 taïkonautes de la mission Shenzhou X avant leur départ. Crédits : China Manned Space

Des palais célestes et des lapins de Jade

Un an avant Longue Marche 1, les Américains étaient déjà loin. Et pour cause ! Ils marchaient sur la Lune ! Le retard qu’accuse la Chine est donc certain, mais il se comble progressivement. La preuve : en 2003, Yang Liwei accomplit 14 révolutions autour de la Terre et cinq ans plus tard, son compatriote Zhai Zhigang effectue la première sortie extra-véhiculaire chinoise. L’exploit suivant est la mise en service, en 2011, de Tiangong 1, traduisez « le palais céleste ». En réalité, une sorte de gros bidon de la taille d’un autobus, le premier laboratoire scientifique chinois placé en orbite. En 2013, Yutu, le « lapin de Jade » se hisse au rang de star nationale. Le petit robot embarqué dans la sonde Chang’3 se pose sur la Lune sans encombre, et il y restera 31 mois. Une nouvelle consécration pour la Chine qui prouve, cette fois encore, qu’elle est capable d’égaler les performances des autres grands du secteur.

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Fin 2013, la Chine est devenue le troisième pays à réussir un atterrissage en douceur sur la Lune, avec le rover Yutu. Crédits : CNSA

Un œil géant pour sonder les mystères de l’espace

FAST est le plus grand radiotélescope du monde, un télescope qui capte les ondes radioélectriques. Et il est chinois. Il a été inauguré dans la province de Guizhou, à l’ouest de la Chine fin 2017.
FAST est surnommé Tianyan, « l’œil du ciel ». Et pour cause ! Les 4 450 panneaux qui forment sa coupole lui permettent d’ « écouter » toutes sortes d’objets célestes très très lointains, comme les supernovas (des explosions qui marquent la fin de vie d’une étoile). FAST peut aussi surveiller des signaux de communication interstellaire. Autrement dit, des formes de vie intelligente au-delà de notre galaxie… https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/en-images-la-chine-publie-de-nouvelles-photos-de-son-plus-grand-telescope-du-monde_1724932.html

Des ambitions mûrement calculées

Un planning hyper chargé…

L’agence spatiale chinoise ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Son cap est clair : direction la Lune puis Mars. Le programme Chang’e (*) d’exploration lunaire est édifiant : à très court terme, atteindre la face cachée de notre satellite naturel (voir encadré), et ramener sur Terre des échantillons de roches. Puis, d’ici 10 ans, faire alunir des taïkonautes (astronautes chinois) avec l’espoir, à terme, d’implanter une base humaine. Pour coloniser la Lune, la Chine va se doter d’une très grosse fusée : Long Marche 9. Grâce à ce puissant lanceur, le pays entamera la construction de Tiangong 3, sa nouvelle station spatiale qui préparera les équipages aux vols de longue durée. La station sera ouverte à la collaboration internationale. Ce qui tombe bien : sa mise en service (2022) viendra combler le vide laissé par la mise à la retraite de la Station Spatiale Internationale (2024).

(*) Du nom de la déesse de la Lune dans la mythologie chinoise.

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Le taïkonaute Zhang Xiaoguang s'entraîne dans la capsule Shenzhou X. Lancée en 2013, la capsule et ses 3 occupants aura passé 15 jours en orbite, avant de redescendre sur Terre sans encombre. Crédits : China Manned Space

… pour jouer dans « la cour des grands »

La liste des réalisations et des projets chinois est encore longue. Le bilan est impressionnant, qu’il concerne les fusées, les vols habités ou encore les expériences scientifiques. Car une chose est sûre : le spatial permet de jouer dans « la cour des grands ». Maîtriser les technologies spatiales, c’est s’assurer la reconnaissance et le respect des autres pays. La preuve ? Les six puissances spatiales (Etats-Unis, Europe, Chine, Inde, Russie et Japon) sont aussi celles qui comptent le plus sur la scène internationale.
Investir dans le domaine spatial, c’est aussi, pour la Chine, affirmer sa modernité technologique et, donc, sa confiance en l’avenir. C’est un ciment qui soude la nation. Et un bon moyen de retenir au pays les meilleurs ingénieurs et techniciens qui, sans cela, pourraient être tentés de… s’envoler vers d’autres cieux.

… et surtout propulser le pays vers une nouvelle ère

Vu de Pékin, le spatial est surtout valorisé pour ses atouts pratiques. Il permet d’assurer la défense du pays, bien sûr !, un secteur de première importance, gardé très secret. Mais aussi, il est devenu incontournable pour satisfaire les besoins quotidiens de la population. Ainsi, en plus des satellites militaires, l’espace est désormais peuplée d’engins chinois de télécommunication, en partie consacrés au fonctionnement d’Internet ou à la diffusion des chaînes de télévision. D’autres servent à l’agriculture, à la navigation ou encore aux prévisions météo. La politique spatiale chinoise répond donc au besoin de modernité économique que le pays encourage depuis 30 ans. De plus, compte tenu du gigantisme du territoire (en terme de surface, et surtout de population –la 1re mondiale), les satellites sont la technologie la moins coûteuse. Bien moins coûteuse, par exemple, que le déroulage de câbles sur des milliers de kilomètres.

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Affiche créée pour la 3 journée de l'aérospatiale de la Chine (avril 2018) : fusée, stations spatiale... Tout y est ! Malgré les contraintes extérieures, la Chine veut devenir une nouvelle puissance spatiale. Crédits : CSNA

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Les Chinois prévoient d'explorer la face cachée de la Lune, cette moitié de notre satellite qui nous tourne toujours le dos. Crédits : Nasa

Face cachée, montre-toi !

La Lune nous montre toujours le même visage. Son autre face, toujours cachée, est un mystère. C’est lui que les Chinois veulent percer. Le rover (véhicule d’exploration spatiale) qui se posera en décembre au pôle sud sera ainsi le premier engin humain à se poser sur la face cachée de la Lune. Il permettra, entre autres, de faire des observations sans être gêné par la pollution lumineuse ou électromagnétique en provenance de la Terre.

Des handicaps à surmonter

Peut mieux faire !

Malgré les énormes progrès réalisés pour combler son retard, la Chine est encore loin d’égaler les Etats-Unis, le numéro 1 spatial. Les satellites par exemple : la Chine en lance beaucoup (en 2018, elle devrait battre tous les records avec plus de 40 lancements de fusées) mais ils ne sont pas toujours aussi performants que les satellites américains. Le pays compte par ailleurs quelques ratés, comme l’échec d’un tir de fusée Longue Marche 5 en 2017 ou le retour non contrôlé sur Terre de la station spatiale Tiangong-1 en avril dernier. Mais c’est surtout l’argent consacré au spatial qui questionne : bien sûr, le secteur emploie aujourd’hui près de 200 000 personnes, un nombre comparable à celui des États-Unis. Mais le budget annuel de l’Agence spatiale chinoise (CNSA) est de  6 milliards de dollars contre 20 milliards pour la Nasa (et même 30 milliards si l’on tient compte des activités militaires aux Etats-Unis). Une différence de poids !

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En 2018, plus de 40 fusées chinoises auront été lancées. Crédits : China Manned Space

Un isolement contraint et forcé

ITAR. Il faut retenir ce sigle pour bien comprendre le plus lourd handicap dont souffre la Chine.  ITAR, c’est le nom d’une règlementation imposée par les Américains. Elle interdit aux Chinois, et à tous ceux qui font affaire avec eux, d’utiliser du matériel, américain, principalement électronique, à bord de leurs satellites. Cette interdiction a été décidée dans les années 90 par un sénateur américain qui craignait que le piratage industriel ne menace la sécurité nationale. C’est donc une mesure qui doit empêcher la Chine de copier, puis de détourner à des fins militaires certaines technologies. Cette contrainte majeure isole Pékin, et la pénalise par rapport à ses concurrents. Mais compte tenu des mauvaises relations actuelles entre les Etats-Unis et la Chine, il est fort à craindre que la réglementation ITAR ait encore une longue vie devant elle…

Une solution : la coopération

Pour compenser son isolement, la Chine ne doit plus apparaître comme un concurrent de l’Occident. Ainsi, sa future station spatiale s’ouvrira à la communauté scientifique internationale. La Chine a également engagé deux missions spatiales de premier plan avec la France : CFOSat, un satellite d’étude de l’océan (mis en orbite en octobre 2018), et SVOM, un satellite d’astronomie. Comme notre pays est autonome pour la fabrication de  matériel spatial, pas besoin de technologie américaine. Ainsi la France apporte des instruments très pointus tandis que son partenaire fournit le satellite et assure le lancement. L’Hexagone est le seul pays pour l’instant à entretenir des coopérations de cette importance avec la Chine. De quoi se réjouir au vu du dynamisme de ce géant nouveau-né !

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Réunion de travail de la mission Svom, menée en coopération entre la France et la Chine. Crédits : © CNES/GUINDRE Benjamin, 2008


Se comprendre pour bien travailler ensemble

L’agence spatiale européenne (ESA) et la Chine vont accélérer leur coopération, en particulier pour l’exploration de la Lune et de Mars. Mais pour coopérer, encore faut-il se comprendre ! Les Chinois ne raisonnent pas comme les Européens. Avec eux par exemple, il faut du temps pour savoir comment se prennent les décisions, et qui les prend. Il faut aussi faire attention à ne jamais faire perdre la face à son interlocuteur. Et comprendre qu’un « non » est vécu comme une impolitesse. De nombreux astronautes et ingénieurs français et europénes sont donc en train de se former à la culture chinoise. Et, bien sûr, d’apprendre le chinois !