23 Décembre 2015

Des satellites pour le climat

Le climat terrestre est une machine complexe et délicate. L’activité humaine en perturbe désormais l’équilibre et entraîne des dérèglements. Afin d’aider à réduire l’impact de ces changements climatiques, les scientifiques cherchent à mieux comprendre le fonctionnement du climat et à anticiper ses évolutions.
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Crédits : William Putman/NASA Goddard Space Flight Center.

LA TERRE, UN ÉQUILIBRE COMPLEXE

Un système pour la vie

De l'eau sous toutes ses formes, de l'oxygène, des températures moyennes : la vie est possible sur Terre parce que ces conditions sont réunies. Celles-ci résultent d’un système complexe, qui fonctionne grâce à l'énergie du Soleil. La Terre absorbe une partie du rayonnement solaire et renvoie une partie de l'énergie qu'elle produit vers l'Espace. C'est l'équilibre entre cette énergie reçue et l'énergie renvoyée, le bilan radiatif, qui maintient un climat viable sur la planète. Les océans, le vent, la végétation, participent à l'équilibre de ce système climatique. 

Parfois, cet équilibre est perturbé. On parle alors de “ forçage climatique ”. Ce forçage peut être naturel (éruption volcanique, changement dans l'activité du Soleil ou de la distance par rapport à cet astre) ou artificiel (émissions de gaz ou de particules polluants, déforestation).

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Caprices climatiques

Le climat connaît des cycles naturels de plusieurs dizaines de milliers d’années. Par exemple l'inclinaison de l'axe de la Terre varie d'environ 2° tous les 40 000 ans. Lorsque cette inclinaison augmente, les rayons du Soleil ont plus de chemin à parcourir dans l’atmosphère terrestre. Ils sont donc plus atténués quand ils atteignent les Pôles, et il fait plus froid.

La Terre subit également des variations saisonnières, mais aussi des phénomènes s’étendant sur plusieurs années. El Niño, par exemple, est une inversion des courants et des vents dans l’océan Pacifique qui se produit tous les 3 à 7 ans vers Noël, au large du Pérou. Ce phénomène repousse les courants froids vers l’Australie et l’Asie, qui connaissent alors une sécheresse inhabituelle, tandis que l’Amérique subit de fortes pluies. Il semble maintenant qu’El Niño soit plus fréquent. Est-ce le signe d’un changement climatique profond ? C’est ce que l’on cherche à déterminer.

Les inondations, ici en Californie (USA) en 1998, peuvent être dues à des phénomènes saisonniers tels El Niño. Crédits : Dave Gatley/FEMA.

Patience

« Il est normal d’enregistrer des variations sur de courtes périodes. Pour distinguer une tendance à long terme d’une fluctuation temporaire du climat, il faut pouvoir l'observer sur de très longues durées, rappelle Jean-Louis Fellous, directeur du Comité mondial de la recherche spatiale et spécialiste du climat. Seule l’étude d’une moyenne des observations réalisées sur une très longue période peut permettre de comprendre les grands mécanismes du climat et révéler d’éventuelles évolutions ». On estime que 30 années d'observation sont nécessaires pour pouvoir établir des tendances climatiques fiables.

Le rôle des courants océaniques, qui transportent de la chaleur et du gaz carbonique (CO2) sur l’ensemble de la planète, a notamment été mis en évidence par plus de 20 ans d’observation des océans par satellite.

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Cette carte de la dynamique moyenne des courants a été réalisée grâce aux données des satellites altimétriques enregistrées sur plus de 20 ans. Crédits : CNES/CLS.

INDISPENSABLES SATELLITES

Vision d'ensemble

Température de l'air, vitesse du vent, propriétés des nuages, composition de l'atmosphère, salinité des océans, niveau de la mer, étendue de la calotte glaciaire, débit des rivières… les experts internationaux ont identifié 50 variables climatiques essentielles à surveiller de très près.

Les satellites sont indispensables pour observer et mesurer la moitié de ces variables. Ils déterminent par exemple la hauteur des mers au centimètre près ! «  Aucune donnée ne se suffit à elle seule et elles sont toujours croisées avec celles enregistrées au sol ou en mer, en avion ou en ballon, ou bien avec celles d’autres satellites », indique Jean-Louis Fellous. Mais seuls les satellites fournissent des données à la fois très précises, sur l'ensemble de la planète et avec une régularité implacable : leur passage est réglé comme une horloge. « Et ils sont d’une fiabilité et d’une objectivité extrêmes ! », ajoute le scientifique.

Chaque mission du programme européen Sentinel compte 2 satellites. Ici, Sentinel-1A et 1B repassent tous les 6 jours par le même point. Crédits : ESA. 

Surveiller et anticiper

L'imagerie spatiale fournit des photographies de toutes les zones de la planète. Les satellites européens Pleiades, lancés en 2012, permettent notamment d’observer la quantité d’arbres abattus en Asie ou en Amérique. Car la déforestation influe sur le climat en modifiant par exemple le cycle de l’eau auquel participent les arbres.

Les satellites européens Metop, équipés de l'instrument IASI développé par le CNES depuis 2006, scrutent en permanence plus de 25 composants de l'atmosphère (ozone, méthane, CO2, etc.).

Toutes ces mesures et ces observations contribuent à affiner les modèles de calcul qui permettent d'anticiper les changements. Par exemple, en calculant l’impact qu’aurait une augmentation de la quantité de gaz méthane dans l’atmosphère.

Grâce à l’observation satellite, la fonte de la calotte polaire est suivie de près, en permanence. Crédits : ESA.

Mystères à gogo

On connaît les grands mécanismes du changement climatique, mais de nombreuses zones d'ombre demeurent. Par exemple, concernant le gaz carbonique (principal responsable de l’effet de serre), nous connaissons ses sources (industries, automobiles…) et ses puits, c’est-à-dire les éléments qui l’absorbent, comme la végétation et les océans.

On estime que la moitié des émissions issues du gaz et du pétrole que nous brûlons est absorbée — à parts égales —  par les « puits » naturels que sont les océans et la végétation. Il faut cependant évaluer plus précisément la capacité d'absorption de ces éléments et les quantités de CO2 déjà stockées. Ce sera notamment le rôle des missions Biomass et Microcarb, prévues pour 2020, ou encore de la série de satellites Sentinel 4 et 5 (lancements de 2016 à 2019).

L'enjeu est d’évaluer la quantité de CO2 présente dans les forêts, l'atmosphère et les océans, puis d’estimer la capacité d’absorption restante.

Préparation, au CNES, du sondeur atmosphérique du satellite Microcarb qui, en 2020, va évaluer les sources et les puits de CO2 sur Terre. Crédits : CNES/ Hervé PIRAUD.

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Copernicus rassemble les forces

Observations satellites, mesures au sol, aéronautiques, marines… Copernicus est un programme européen qui, depuis 2001, rassemble toutes les données relatives à l’environnement et la sécurité pour mieux observer et gérer les questions environnementales et climatiques. Dans ce cadre, le CNES met par exemple à disposition les données Spot, Jason et Pléiades. Des missions satellites ont aussi été spécialement développées par l’ESA, l’agence spatiale européenne, dans le cadre de Copernicus : c’est le programme Sentinel.

DES INSTRUMENTS HAUTE PERFORMANCE

Jeux de regards

Spectromètre, radiomètre, lidar… ces instruments n’effectuent pas les mêmes mesures mais ils fonctionnent selon le même principe : pour déterminer les caractéristiques d’un objet (surface de glace, gaz, aérosol, etc.) ils étudient un rayonnement émis ou réfléchi par cet objet. Plus précisément son intensité et sa composition spectrale.

Le Lidar envoie une impulsion lumineuse puis analyse la lumière réfléchie, par exemple pour déterminer la quantité d’aérosols présents dans l’atmosphère. Le radar altimétrique, lui,  émet une onde électromagnétique et mesure le temps qu’elle met pour lui revenir afin d’évaluer la hauteur parcourue. Ces deux instruments sont dits « actifs ».

Les instruments « passifs » n’émettent pas de signal. Ils analysent le rayonnement directement émis ou réfléchi par la cible étudiée. C'est le cas des appareils photos et caméras, qui captent la lumière pour révéler des images, mais aussi d’instruments qui «  regardent » dans d’autres longueurs d'ondes.  Ainsi, en mesurant l'intensité d'un rayonnement dans l’infrarouge, un radiomètre infrarouge détermine la température de la surface et de l’atmosphère d’une planète. Le spectromètre, lui, analyse la répartition du rayonnement, également dans différentes longueurs d’ondes.

L'exemple de l'interféromètre IASI :

Combiner les outils

Certains satellites embarquent plusieurs instruments complémentaires. Le satellite français Calipso, qui étudie l'influence des nuages et des aérosols sur le climat, possède ainsi un Lidar, une caméra et un radiomètre infrarouge. Cela lui permet de mesurer à la fois l’épaisseur des couches de nuages et d'aérosols, leur répartition horizontale et la façon dont ils se superposent.

Calipso est l'un des satellites de l'A-Train. Une constellation de 6 satellites (français, américains, canadien et japonais) qui suivent une même trajectoire à quelques secondes d'intervalle. Chacun a sa mission : étude des aérosols et des nuages, cycle de l'eau, analyse des gaz de l'atmosphère… Leurs mesures, relevées sur des mêmes points aux mêmes moments, sont complémentaires. Associées, elles donnent des indications sur l’influence des nuages et des aérosols sur le climat.

Calipso cherche à comprendre le rôle des aérosols et des nuages dans le climat. Crédits : CNES/SapienSapienS.

Solidaires

Difficile pour les agences spatiales de différents pays de construire ensemble des programmes combinant plusieurs satellites et plusieurs instruments comme l'A-Train. Toutefois, les agences  coordonnent leurs satellites. Par exemple, depuis 1993, les Français (avec leurs partenaires européens) et les Américains, rejoints par les Indiens et les Chinois, se sont assurés qu'il y ait toujours 4 satellites d'altimétrie océanographique en fonctionnement. Leurs instruments sont réglés les uns par rapport aux autres afin que leurs mesures soient réalisées sur la même base.

Le CEOS, qui regroupe toutes les agences spatiales en observation de la Terre agit pour mettre gratuitement les données de tous les satellites à la disposition des experts climatiques réunis au sein du GIEC (le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Pour cela, des programmes de collaboration internationaux ont été mis en place, comme le GHRSST (Group on High-Resolution Sea Surface Temperature) qui centralise les mesures de température de surface des océans de tous les satellites. 

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Cette carte des températures de surface a été établie grâce aux mesures de plusieurs satellites optiques. Crédits : CLS.