5 Décembre 2018

Ma vie dans l’espace en 2051

Dans son journal intime, Clara raconte sa vie tout à fait banale d’adolescente… sur Mars. Un récit de science-fiction, qui se base toutefois sur des éléments réels ou crédibles. Sur nos connaissances de la planète, acquises grâce aux explorations menées depuis les années 1960. Et sur les travaux de prospective conduits notamment par le CNES dans le cadre de son observatoire Space’ibles.

« Moi, Clara, martienne de 16 ans »

Clara est une adolescente comme les autres. Sa vie est rythmée par le lycée, les amis, les sorties. La seule différence : Clara vit sur Mars. Extrait de son journal intime.

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Crédits : François Foyard pour SapienSapienS

9 juin 2051 : sortie scolaire

On avait sortie scolaire cet après-midi au lycée, avec la prof de planétologie martienne. Direction, le musée de l’exploration. C’était sympa, notamment les vieux rovers envoyés ici depuis la Terre dans les années 2000. InSight, Curiosity… Ils font un peu vieillot. Curiosity mettait 1 heure pour faire à peine 150 mètres ! L’hallu ! Aujourd’hui, le métro spatial va à 300 km/h. Je peux aller chez mon frère qui habite le Dôme Opportunity dans le plateau Meridiani (il est ingénieur dans une mine d’hématite) en moins d’une heure. Mais bon, comme dit la prof, sans eux, et les premiers explorateurs de Mars, on ne serait pas là aujourd’hui.
Ah oui, et ce midi à la cantine, la honte de ma vie…  J’ai glissé sur un bout de tartare d’algues au grillon que quelqu’un avait fait tombé. J’ai failli casser l’armoire hydroponique des fraises. #TroplaHonte

19 juillet 2051 : tempête, c’est la loose…

Tempête de poussière. Il fait nuit en plein jour. Le ciel est complètement obscurci. Va falloir attendre maintenant que les poussières retombent tranquillement. Y’a pas de pluie ici pour laver le ciel ! Mais malgré cela, je dois quand même aller au lycée.

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Crédits : François Foyard pour SapienSapienS

6 septembre 2051 : happy birthday moi !

Joyeux anniversaire ! 16 ans, aujourd’hui ! Ca y est, je suis majeure. Bon, la journée avait plutôt mal commencé… Alarme étanchéité dans le dôme. Les parents paniqués. Masques à oxygène obligatoires, et tout le tralala…. Mais c’était une fausse alerte. Pas de fuite, le dôme est tout à fait hermétique. C’est Ludwig, l’IA* de la maison, qui doit être farceur ! Mon paternel lui pense que cette fausse alerte vient des travaux. On refait l’isolation intérieur du Dôme, 60 000 m2 de ©MATISS 3000. Mon père dit qu’il n’y a pas de meilleur revêtement pour empêcher l’apparition des bactéries.
Après les cours, il est venu me chercher au lycée. Il a fermé son commerce plus tôt. Il est fleuriste. Il fait pousser des fleurs qui poussent bizarrement, à cause de la faible gravité ici. Enfin, moi je n’y vois rien de bizarre, mais cela plaît vachement aux Terriens. Il fait des envois vers la Terre quasiment tous les 6 mois… Sont fous ces terriens ! Maman n’était pas là. Trop de boulot. Elle travaille à l’hôpital du Dôme B Godard. Elle est spécialisée dans les Nouvelles Maladies. Celles qui sont apparues avant la création de la magnétosphère artificielle anti rayons cosmiques.
Bon bref, avec papa, on est allés à LudiMars, au Cinédôme G.Lucas pour voir un trop vieux film (encore en 3D et sans bonus odorant, imagine !) : Avatar. Paraît que ça avait cartonné à l’époque. On a bien rigolé en tout cas.

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Les serres martiennes serviront essentiellement à produire de la nourriture. Crédits : F. Foyard pour SapienSapienS

Science-fiction ou réalité ?

Ces extraits du journal de Clara sont bien sûr une invention. Mais ça n’est pas non plus totalement de la science-fiction. Beaucoup d’éléments sont réalistes. On connaît en effet beaucoup de choses sur Mars, grâce aux missions d’exploration. Et pour le reste, on imagine… de manière crédible.

Ce que l’on sait

Depuis les années 60, les agences spatiales multiplient les missions d’exploration de la planète rouge. On en dénombre près de 50. En 2020, l’Europe enverra le rover ExoMars forer le sol martien. Le but est de mieux connaître cette planète, sa formation, sa composition, mais aussi de déceler une possible trace de vie passée. On sait donc que Mars, contrairement à la Terre, ne possède pas de magnétosphère. De plus, son atmosphère est très tenue. Du coup, pas question de s’y promener à l’air libre ! L’air est composé principalement de dioxyde de carbone, mortel si on le respire. De plus, le champ magnétique, qui protégeait Mars des radiations venant de l’espace, a progressivement disparu.
Enfin, l’on y observe très régulièrement des tempêtes de poussière. Tous les 3 ou 4 ans, elles recouvrent même toute la planète. Les vents soulèvent les poussières qui flottent alors dans le ciel, et mettent beaucoup de temps à retomber, faute de pluie !

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Une tempête sévit localement, sur Mars. A droite, des nuages de poussières soulevées par les vents. Crédits : ESA/DLR/FU Berlin, CC BY-SA 3.0 IGO

Anticiper la vie sur Mars

Personne n’est jamais allé sur Mars (pas même Matt Damon) ! Mais beaucoup imaginent comment y vivre : les auteurs de science-fiction et les personnes chargées d’anticiper l’avenir : les prospectivistes (voir partie 3). Au sein du CNES, certains réfléchissent très sérieusement à quoi ressemblera la vie dans les premières villes martiennes. Un groupe, qui rassemble des professionnels du spatial ainsi que d’autres secteurs comme l’architecture ou l’agro-alimentaire, baptisé « Vivre au Quotidien dans l’Espace »(VQE), a même été créé pour réfléchir à nos vies dans de futurs habitats extra-terrestres.
Des études menées sur les astronautes ont déjà montré que les rayons qui parcourent l’espace (rayonnements solaires, cosmiques…) sont nocifs. « Les gens devront donc soit habiter dans le sous-sol martien, soit dans des habitats recouverts d’une couche protectrice » (comme de la glace ou de la terre martienne), explique François Spiero, co-animateur du groupe VQE. « Mais vivre enterré est dur, notamment sur le plan psychologiquement. Nous imaginons donc qu’il s’agira de grands dômes, étanches, pour que l’air extérieur ne puisse y pénétrer. » Et à l’intérieur des bâtiments, l’air devra être constamment contrôlé : pression, température, taux d’oxygène et de CO2, humidité, présence de micro-organismes…

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La NASA a lancé un concours où il faut imaginer des habitats martiens, constructibles par impression 3D. Ici, les projets des 2e (équipe AI. SpaceFactory, en bas) et 3e (Kahn-Yates of Jackson, Mississippi) sélectionnés. Crédits : NASA

Salades martiennes ?

Qui dit sol, dit matières organiques. Or, rien de cela dans le sol martien qu’on appelle d’ailleurs plutôt « régolite » (la poussière de roches). Bref, difficile d’imaginer y planter des fraises ou des salades ! Alors pour se nourrir, les habitants de Mars devront soit faire venir ce qui a été produit sur Terre, grâce à des techniques de conservation de plus en plus performantes. Des algues ou des insectes par exemple, riches en protéines et nutriments. Soit produire sur Mars, mais différemment. « Un jour, vivre sur Mars voudra dire être complètement autonome vis-à-vis de la Terre », prédit François Spiero.
Cultiver, cuisiner, manger des produits frais… Les expériences de vie en conditions martiennes ont prouvé que ces aspects étaient essentiels pour le bien-être des participants. Il en sera de même pour les futurs humains martiens. Donc on imagine de vastes serres où l’on recrée l’air et la lumière terrestres. Et où les plantes poussent hors-sol. La terre est remplacée par d’autres matériaux dans lesquels on ajoute des nutriments. Cela s’appelle la culture hydroponique. Et ça existe déjà sur Terre !

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Le sol martien n’est presque constitué que des matières minérales. Il n’abrite aucune matière organique. Difficile donc d’y faire pousser des plantes. Crédits : NASA/JPL-Caltech/MSSS


un jour un peu plus long

« Il est 24h30, l’heure de se coucher »... Et oui, sur Mars, une journée dure 24 heures et 37 minutes (le temps que met la planète pour faire un tour sur elle-même). La différence est assez minime par rapport au jour terrestre, ce qui permettrait aux « Terriens » de s’acclimater plus vite au rythme martien.

Space’ibles : prévoir pour anticiper

En 2017, l’agence spatiale française a créé le premier observatoire de prospective spatiale, appelé Space’ibles. Un laboratoire d’idées, totalement unique, pour prévoir et anticiper l’avenir, sur Terre et dans l’espace.

Anticiper l’avenir

Certains imaginent ce à quoi ressembleront les littoraux, soumis aux changements climatiques. D’autres s’intéressent à la manière dont nous nous nourrirons, quand nous vivrons en orbite lunaire. D’autres encore aux lois régissant l’exploitation du minerai des astéroïdes… Space’ibles est un observatoire de prospective spatiale, initié par le CNES. « L’idée, explique Murielle Lafaye, la fondatrice et animatrice, est de développer nos capacités à anticiper le futur. Dans tous les domaines de la vie dans lesquels l’espace joue un rôle ». Economie, transport, climat… La liste est longue. On pense notamment qu’un jour, l’exploration spatiale sera plus accessible, car l’homme n’aura plus besoin d’acheminer des matériaux depuis la Terre (s’arracher de l’attraction terrestre est complexe et cher). Les matériaux seront extraits des corps spatiaux, et les objets, les maisons… seront fabriqués sur place. Une nouvelle économie de l’espace verra le jour, qu’il faut envisager dès maintenant.

Comment fait-on pour prévoir le futur ?

Concrètement, Space’ibles, ce sont des personnes qui se réunissent plusieurs fois par an, par groupe thématisé, pour réfléchir au futur. François Spiero, lui,co-anime le groupe « Vivre au Quotidien dans l’Espace » : « Nous réfléchissons aux moyens de se nourrir, de se chauffer, de s’éclairer, de se divertir… D’abord pour des communautés martiennes ou en orbite autour de la Lune. Puis, pourquoi pas, sur des lunes de Jupiter ou de Saturne »
« Notre grande force, poursuit Murielle Lafaye, c’est que nos membres (60 structures pour 120 participants) ne viennent pas seulement du CNES, ni même du secteur spatial. » Economistes, architectes, médecins, agronomes, industriels, spécialistes du jeu, experts littéraires… L’idée est de réfléchir de manière globale, avec des experts en leur domaine. Et de permettre aux participants de s’emparer des problématiques du futur. Par exemple, un laboratoire ou un industriel peut s’engager dans une nouvelle recherche « d’avenir » (un matériau de décontamination, un nouveau procédé de conservation des aliments…). « Nous sommes également accompagnés par des professionnels de la prospective, détaille Murielle Lafay, le Comptoir Prospectiviste, le GERPA et Futuribles. » Et oui, la prospective, c’est un métier !

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Futur Hebdo est un magazine en ligne de prospective et de vulgarisation, fondé par Olivier Parent.

« Je ne suis pas Madame Irma ! »

Olivier Parent est prospectiviste. C’est son métier. Il a fondé FuturHebdo et le Comptoir Prospectiviste, qui accompagne des institutions publiques ainsi que des entreprisés privées. Il travaille aussi au sein de Space’ibles.

« Je ne suis pas Madame Irma avec sa boule de cristal ! Mais j’imagine ce que pourrait être le futur, selon un raisonnement rigoureux et à l'aide d'un réseau d'experts. Toute démarche de prospective est basée sur des faits réels, comme des innovations techniques ou de nouveaux comportements sociaux. Ensuite, nous élaborons des scenarii en imaginant les conséquences de ces nouveautés, pour les individus, la société. Sans jugement de valeur. Sans dire « cela va être cela », mais « ça pourrait être ça ». A chacun ensuite de décider si ces avenirs sont souhaitables, ou non. »

 Un outil d’aide pour le présent

La prospective est un véritable outil pour aider les individus, les chefs d’entreprise, les politiques, à prendre des décisions, en connaissance de cause. Montrer les voies sans issue ou au contraire les scenarii plausibles. Le travail mené par Space’ibles par exemple sera soumis aux ministres européens des affaires spatiales lors du conseil ministériel de l’ESA, fin 2019.