Le voyage spatial
Les cowboys de l’espace
Fini le temps où l’accès à l’espace était réservé aux grandes nations spatiales, comme l’ex-URSS ou les Etats-Unis. Aujourd’hui, des entrepreneurs, très riches, veulent aussi conquérir l’espace. Les Américains Elon Musk, à la tête de Space X, et Jeff Bezos et sa société Blue Origin, ou encore le britannique Richard Branson, dirigeant de Virgin Galactic, sont les acteurs les plus emblématiques du New Space. Ce mouvement regroupe aujourd’hui plus de 1000 entreprises, de taille plus ou moins importante, principalement implantées aux Etats-Unis. Leur but : démocratiser l’accès à l’espace et investir dans ce nouvel eldorado.
Le milliardaire américain Jeff Bezos, fondateur d’Amazon et de Blue Origin, devant sa fusée New Shepard.
Crédits : Blue Origin.
L’espace proche, une réalité.
Forts de l’expérience acquise par les agences depuis 50 ans, ces nouveaux acteurs sont capables aujourd’hui de construire des fusées, des satellites et autres engins pour investir les orbites basses, c’est-à-dire l’espace proche, jusqu’à 2000 km d’altitude environ. Du coup, on voit fleurir de nombreux projets réalistes. One Web, par exemple, développé par l’Américain Greg Wyler, et, notamment, Airbus, vise à fournir un accès à Internet pour tous, partout, et pour pas cher. Pour cela, 900 petits satellites vont être envoyés à 1200 km d’altitude pour couvrir toute la planète…
Autre projet, porté par Google et Terra Bella (ex Skybox Imaging) : une constellation de satellites pour photographier en haute résolution toute la planète. Leur but est-il de rendre service à l’humanité ? Oui et non.
Certains de ces milliardaires ont réellement envie de changer le monde
"Certains de ces milliardaires ont réellement envie de changer le monde, explique Gilles Ragain, chargé de la prospective au CNES. Mais ils savent que pour y arriver, il faut énormément d’argent."
L’administration américaine (la NASA notamment) favorise largement le développement de ces nouvelles entreprises, en faisant appel à elles. Elle leur offre un marché, charge ensuite aux sociétés d’en trouver d’autres. Ainsi, le ravitaillement de la Station Spatiale Internationale, à 400 km d’altitude, est désormais en partie confié à des firmes privées (Space X, Orbital ATK et Sierra Nevada Corporation). On va même bientôt voir des « taxis » privés. Boeing et Space X y enverront des astronautes à partir de 2018.
A partir de 2019, le cargo Dream Chaser, de la société privée Sierra Nevada Corporation, s’amarrera à l’ISS pour décharger ses cargaisons.
Crédits : Sierra Nevada Corporation.
L’espace profond : une utopie ?
Certains projets sont toutefois des paris, parfois fous. Pas impossibles mais très incertains. Ils concernent l’espace plus lointain, la Lune, Vénus et au-delà. Elon Musk, le patron de Space X, veut par exemple coloniser Mars, une planète inhabitable. Même objectif pour l’ingénieur hollandais Bas Lansdorp. Son projet Mars One serait financé en partie par la télévision : l’arrivée des premiers colons donnerait lieu à une émission de télé-réalité !
L’astrophysicien Stephen Hawking et l’entrepreneur russe multimilliardaire Iouri Milner portent eux un projet baptisé Breakthrough Starshot. Leur objectif : réaliser le premier voyage en dehors de notre système solaire, vers des étoiles situées à 4,4 années-lumière soit 37844000000000 km ! Des vaisseaux (inhabités) seraient propulsés par des lasers, et se déplaceraient à 60 000 km par seconde, c’est 1000 fois plus vite que les sondes actuelles. Cette propulsion est aujourd’hui le seul moyen d’arriver aussi loin, mais elle n’a pas jamais été éprouvée. Et ce projet est estimé à 10 milliards de dollars ! Pas sûr que les financeurs aient envie d’investir autant, simplement pour explorer l’Univers.
Faire du business
Les investisseurs privés s’intéressent aussi de plus en plus à l’exploitation des ressources de notre Système Solaire. Planetary Resources, société américaine (financée entre autre par le réalisateur James Cameron), imagine pouvoir extraire des astéroïdes les métaux, les minerais et l’eau qui s’y trouvent pour les revendre. Mais les difficultés techniques sont énormes. Le projet aujourd’hui n’est pas rentable.
Des bouleversements économiques
Les fusées : un secteur en mutation
Rendre l’espace accessible, cela signifie faire baisser le coût de lancement des fusées. Une première révolution avait déjà eu lieu en 1980 avec la création de l’entreprise française Arianespace. C’était la première société de lancement de fusées au monde. Aujourd’hui, elle représente 50 % du marché du lancement des satellites. Mais la concurrence est féroce. En 2014, Space X a raflé 9 envois de satellites géostationnaires sur 18.
Alors l’Europe réagit. Elle a décidé en 2014 de construire une nouvelle fusée, Ariane 6, qui sera moins cher à construire, plus adaptée aux futurs satellites et donc plus compétitive. Un lancement d’Ariane 6 devrait coûter deux fois moins cher qu’Ariane 5. Le CNES et les industriels européens Airbus et Safran développent également un nouveau moteur, Prométhée, qui sera moins cher, et potentiellement réutilisable.
Un enjeu majeur : les fusées réutilisables
Aujourd’hui, une fusée n’est utilisée qu’une seule fois. Après avoir largué son satellite, elle reste dans l’espace ou se désintègre dans l’atmosphère. A chaque nouveau lancement, il faut en reconstruire une. Alors on réfléchit sérieusement à l’idée de les réutiliser. Récemment, les sociétés Space X et Blue Origin ont réussi à récupérer le premier étage de leur fusée. C’est un exploit technique, mais qui ne permet pas de réduire le coût de lancement. Il va falloir encore beaucoup de travaux pour les remettre en état et leur permettre de voler à nouveau. Les moteurs vont devoir être révisés, nettoyés...
En Europe aussi, on cherche depuis plusieurs années à réutiliser intelligemment certaines parties des lanceurs. Le projet Adeline, par exemple, mené par Airbus DS, vise à récupérer toute la partie basse de la fusée où se trouvent les moteurs (la partie la plus chère). Ce morceau de la fusée, sorte de bidon ailé, reviendrait sur Terre en se posant comme un petit avion. Les premiers tests de vol ont été un succès. Adeline pourrait ainsi équiper Ariane 6 vers 2025.
Adeline se posant en douceur comme un petit avion.
Cette partie de la fusée pourrait être réutilisée sur un nouveau lanceur.
Crédits : Airbus DS.
Du public au privé
Les agences étatiques (financées par les Etats et donc appartenant au secteur public) développent des technologies que les entreprises (qui représentent le secteur privé) peuvent ensuite exploiter. Aux Etats-Unis, la NASA va même plus loin, et paie aujourd’hui des firmes privées pour ravitailler la Station Spatiale Internationale, une mission auparavant menée par les agences. L’ESA et le CNES ont notamment ravitaillé 5 fois la Station avec le cargo ATV.
En Europe, les agences spatiales nouent également des partenariats avec les industriels. Par exemple, la société MAP élabore des peintures innovantes pour recouvrir les fusées, en collaboration avec le CNES. Ces partenariats permettent d’aider les industriels à créer de nouvelles technologies mais aussi de soutenir l’économie et l’emploi. De plus, "l’ouverture" de l’espace génère une multitude de nouvelles entreprises, dans divers secteurs reliés au spatial. Un exemple ? Les nanosatellites, ces petits satellites de moins de 10 kg. Les applications imaginées sont infinies : repérer des fuites sur un pipeline ou mesurer le taux d’occupation des parkings de supermarchés !
Tout ne se fera pas, mais il y aura forcément des succès.
"Aujourd’hui, les progrès dans le numérique permettent de faire avec de petits satellites des choses que seuls des gros pouvaient faire avant, conclue Gilles Ragain. Du coup, des start-ups peuvent monter des projets en investissant moins d’argent. Tout ne se fera pas, mais il y aura forcément des succès."
Le tourisme spatial
C’est l’une des activités du New Space, dont on parle depuis les années 90. Seuls 7 milliardaires aujourd’hui ont pu passer quelques jours dans la Station Spatiale Internationale, pour la somme de 30 millions d’euros. Désormais, les sociétés privées (Virgin Galactic, Blue Origin, XCor Aerospace) assurent pouvoir faire baisser les prix grâce à des vols suborbitaux, c’est-à-dire à la frontière entre l’atmosphère et le vide spatial. Le voyage coûtera tout de même quelques centaines de milliers d’euros. Cela n’est pas demain qu’on verra des embouteillages au mois d’août pour quitter l’atmosphère !
Harrison "Han Solo" Ford a déjà réservé sa place à bord du nouvel engin de Virgin Galactic. Crédits : 2016 Mark Greenberg/Virgin Galactic.
Encore beaucoup de questions
Des lois qui évoluent
Il existe un droit de l’espace, régi par divers traités internationaux sous l’égide de l’ONU (le premier date de 1967). Ainsi, les Etats sont responsables des activités qu’ils y mènent. C’est pourquoi en France, il existe des procédures et des normes concernant les satellites ou les fusées. Tous, entreprises privées également, doivent s’y soumettre. Les Nations-Unies ont également établi que l’espace, y compris la Lune ou les autres corps célestes, "ne peuvent faire l’objet, d’appropriation nationale". Mais la loi évolue, dans le cadre notamment de la prospection spatiale. S’il est interdit pour un gouvernement de "s’approprier l’espace", le Congrès américain considère que cela n’est pas le cas pour les individus. Il a adopté fin 2015 le Space Act. Cette loi autorise les compagnies américaines à prospecter, extraire et vendre les ressources des planètes et des astéroïdes. Autre exemple, au Luxembourg. Ce pays européen a décidé de soutenir l’exploitation des ressources des astéroïdes et de la Lune, en faisant bénéficier les entreprises d’un cadre juridique favorable. (projet "spaceresources.lu").
L’exploration lointaine : une affaire d’état
Ce qui est certain, c’est que l’exploration spatiale restera encore longtemps le fait des Etats et des agences gouvernementales. NASA, ESA, CNES, JAXA (agence spatiale japonaise)… Les agences ne manquent pas d’ambition. En 2014, l’Europe a posé le robot Philae sur une comète, à près de 500 millions de km de la Terre. Cette mission, Rosetta, nous a appris beaucoup de choses sur ces corps. En 2018, le satellite Solar Orbiter (ESA, NASA, CNES, CNRS) se rapprochera du Soleil comme aucun autre avant lui (à une distance de 42 millions de km). Un poste d’observation inédit et idéal. Mars aussi est une destination prisée pour les missions spatiales : Curiosity, ExoMars, Mars2020… Enfin, on verra peut-être pousser un jour un village sur la Lune. C’est un projet de l’agence spatiale européenne qui imagine une base lunaire peuplée de scientifiques du monde entier, le projet "Moon Village".
Le projet du "Moon Village" (en anglais) sur le site de l’ESA
Le New Space, bien ou mal ?
Nous avons posé la question à Jacques Arnould, expert éthique au CNES :
"Nous vivons des changements, c’est une réalité. Dans ce contexte, les secteurs public et privé doivent collaborer plus encore. Pourquoi ? Car nous sommes complémentaires. Le secteur privé utilise les technologies spatiales pour créer des applications concrètes, qui nous sont directement utiles. Alors qu’il est de la responsabilité du secteur public d’imaginer l’utilisation de l’espace sur le long terme. Concernant les astéroïdes par exemple : ils ont été déclarés patrimoine commun de l’humanité. Mais ils sont potentiellement exploitables. Il faudra donc imaginer comment concilier les intérêts des entreprises et ceux de l’humanité. De plus, le New Space a cet avantage de faire parler de l’espace dans les médias, dans la sphère publique, c’est-à-dire, entre amis, avec sa famille. Cela nous fait nous poser des questions comme celle de l’intérêt d’aller explorer l’Univers. Et cela, c’est déjà bien."