10 Avril 2019

Prêts pour le voyage spatial ?

Déjà plus de 500 personnes ont fait le voyage vers l’espace et les allers-retours vers la Station Spatiale Internationale sont désormais réguliers. Le voyage n’est cependant pas encore accessible à tous. S’arracher de l’attraction terrestre et s’élever à des centaines de kilomètres reste une vraie prouesse technologique, sans cesse renouvelée. Demain, jusqu’où et avec quels engins allons-nous voyager dans l’espace ? Embarquement immédiat !

S'échapper de la Terre

Le premier dans l’espace a gagné ! On pourrait résumer ainsi la course à l’espace qui opposait les Etats-Unis et l’URSS dans les années 1960. Ces nations ont alors multiplié les efforts pour y parvenir et posé les bases du vol habité.

Hommes-canons

Un énorme boulet de métal de 2,3 mètres de diamètre : c’est dans cet engin, le Vostok1, que le Soviétique Youri Gagarine a effectué le premier vol habité le 12 avril 1961, à 250 km de la Terre. Il est resté en orbite 108 minutes. Le Vostok ne possédait pas de moyen de propulsion pour se diriger ou se freiner après sa manœuvre de désorbitation, ni de moyen de pilotage autonome. Pour éviter le choc de l’atterrissage, Gagarine s’est éjecté à 700 m du sol et a atterri en parachute.
Les américains ont tout de suite intégré une capacité de pilotage autonome à leur capsule Mercury (1959-1963 / 1er astronaute Alan Shepard qui a effectué un vol suborbital de 15 minutes à 185 km d’altitude le 5 mai 1961) et ils lui ont donné une forme conique. L’intérêt : la partie plate offre un large bouclier thermique pour protéger le vaisseau de la chaleur générée pendant la rentrée atmosphérique et la partie évasée stabilise la trajectoire.

vostok.jpg
Six vols habités ont été effectués entre 1961 et 1963 à bord des vaisseaux Vostok. Les astronautes ont ensuite voyagé en équipage de 2 puis 3 personnes. Crédits : SiefkinDR/Creative Commons

Rejoindre l'espace

Pour propulser les engins habités dans l’espace, il a fallu concevoir des fusées puissantes capables de les transporter en orbite. Le vaisseau ou la navette se sépare progressivement des éléments de propulsion vidés de leur carburant, jusqu’à atteindre l’orbite basse terrestre à environ 300 km de la Terre, à 30 000 km/h. De là, ils utilisent des moteurs autonomes pour rejoindre l’ISS. Les projets plus lointains prévoient un rendez-vous en orbite (terrestre ou lunaire) avec un  engin qui les ravitaille en carburant avant leur départ vers leur destination finale.

Le lanceur Saturn V, qui a emporté les vaisseaux Apollo, reste le plus puissant jamais construit. Il pouvait  emporter en orbite basse une charge utile de 120 tonnes (satellite, vaisseau, instrument, etc.). Le lanceur russe Soyouz a une capacité de charge utile d’une dizaine de tonnes, le lanceur européen Ariane 5 d’une vingtaine de tonnes et le projet Starship du milliardaire américain Elon Musk et sa société Space X pour rejoindre Mars, de plus de 100 tonnes.
Les engins orbiteurs qui emportent les astronautes peuvent être placés à dans la coiffe du lanceur (Soyouz) ou arrimés à un réservoir externe (Navettes US).

je_soyouz_schema.jpg
Les dispositifs habités de type capsule sont en général composés de 3 modules : un Module de service (propulsion, oxygène, systèmes électroniques, etc.), un Module orbital (ou module habitable, où séjournent les astronautes) et un Module de rentrée (capsule). Crédits : ESA

Capsule VS Navette

Le 12 avril 1981, 20 ans après Gagarine, les Américains lancent une navette spatiale. C’est un avion géant capable de faire des allers-retours dans l’espace pour y transporter des passagers, des satellites, des modules spatiaux… Mais leur coût élevé et la mort de 14 personnes (Challenger est détruite au lancement en 1986 et Columbia au retour sur Terre en 2003) condamnent le programme à s’arrêter en 2011. En tout, cinq navettes spatiales US ont été construites.

En France, le CNES a imaginé dès 1975 un projet de navette qui est devenu le projet européen Hermes. Mais comme le projet russe Kliper, Hermes sera abandonné, en 1992, principalement à cause de son coût jugé trop élevé. Celui-ci a notamment beaucoup augmenté en raison de la recherche d’une meilleure sécurité, en particulier de dispositifs d’évacuation en cas d’urgence qui n’existaient pas sur les navettes US.

Moins maniables, mais plus robustes et plus fiables, les capsules soviétiques Soyouz, lancées à partir de 1967, continuent aujourd’hui de conduire les astronautes à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS).


je_comparaisonshuttlesoyouz-ok.jpg

Les maîtres de la LEO

Nom de code : LEO pour « Low Earth Orbit », en français Orbite terrestre basse. Ce nom désigne la zone de l’espace comprise entre 200 et 2 000 km d’altitude de la Terre. C’est là qu’ont eu lieu la majorité des missions spatiales habitées. Une frontière maîtrisée… à dépasser.

Train de banlieue

L’homme n’est jamais retourné sur la Lune depuis les missions Apollo (1961-1972) mais il a apprivoisé la banlieue terrestre. Depuis 1971 et la première station spatiale soviétique Saliout 1, les stations Saliout (jusqu’en 1986), la station américaine Skylab (1973-1974)  puis la station russe MIR (de 1986 à 2001) ont accueilli près de 200 visiteurs de diverses nationalités, véhiculés à bord du Soyouz russe ou de navettes américaines.

À partir de 1998, l’ISS, assemblée à 400 kilomètres de la Terre, a pris le relais de MIR. Depuis, des équipages de 3 à 6 astronautes s’y relaient en permanence. La Chine possède également un programme de station spatiale Tiangong. Après Tiangong 1, visitée par 6 taïkonautes de 2011 à 2016, Tiangong 2 devrait être opérationnelle d’ici 2023.

Une centaine de vols habités ont eu lieu vers la seule ISS, une quarantaine vers MIR. Leur fréquence est aujourd’hui de 3 à 6 vols par an.

je_iss_atv-2_and_endeavour.jpg
Tous sur l’ISS ! La navette américaine Endeavour, dockée ici à l’ISS, en mai 2011, a été prise en photo par un cosmonaute russe à bord d’un vaisseau Soyouz. De l’autre côté de la station, on aperçoit le cargo de ravitaillement européen ATV. Crédits : ESA/NASA

Tous en capsule

Depuis l’arrêt des navettes américaines en 2011, plus question de développer des engins à tout faire, capables d’emporter à la fois des satellites et des équipages : trop compliqué, trop risqué, trop lourd, trop cher. Et aujourd’hui, le Soyouz russe est le seul engin habité pour rejoindre l’ISS. La capsule russe n’a pas beaucoup évolué et subit parfois de rudes atterrissages (jusqu’à 10G) en cas de problème. Les astronautes sont donc encore des professionnels entraînés, capables de réagir en cas de situation critique.

Matériaux et propulsion ont peu évolué mais, explique Christophe Bonnal, de la Direction des lanceurs du CNES, « grâce aux progrès informatiques, nous disposons d’énormes capacités de calcul pour surveiller la température, la pression, les trajectoires, etc., ce qui rend les vols beaucoup plus sûrs. »  

Les capsules ont donc de l’avenir. D’autant que la NASA, l’agence spatiale américaine, a aidé 2 entreprises privées à mettre au point de nouveaux engins pour desservir l’ISS. Bien qu’il ait été endommagé par son séjour en mer à son retour, le Crew Dragon de la société Space X a réussi son premier vol test (non habité) le 8 mars 2019 et doit effectuer son premier vol habité en juillet 2019. Le Starliner de Boeing, doit suivre en août 2019.

je_crew_dragon_ripley.jpg
Le principal avantage des nouvelles capsules comme ce Crew Dragon Space X ? Leur confort ! Rien à voir avec l’espace exigu des premiers engins, ni même des Soyouz. Crédits : SpaceX

Orion vise la Lune
Aux côtés des projets des sociétés privées, la NASA et l’ESA, l’agence spatiale européenne, préparent aussi une capsule, Orion, pour emporter des astronautes vers la Lune et au-delà. Son module de service, réalisé par la France avec l’ESA, exploite le savoir-faire européen acquis avec l’ATV, le module de ravitaillement de l’ISS développé par Airbus pour l’ESA et piloté par le CNES pendant  6 ans.
Le premier aller-retour en orbite lunaire, sans passager, est prévu en 2020, le premier vol habité vers la Lune en 2022 puis, vers un astéroïde, voire Mars, dans les années 2030.

je_orion.jpg
La capsule Orion emportera les prochains équipages internationaux en orbite lunaire en 2022. Son module de service (sous la capsule) est fabriqué par des sociétés françaises. Crédits : AirbusDS

Des hubs spatiaux

Les nouveaux véhicules habités visent déjà des missions lointaines. L’enjeu sera de transporter des hommes vers la Lune, des astéroïdes, Mars… pour des activités industrielles, scientifiques ou touristiques. Selon les destinations et les objectifs, différents moyens pourraient cohabiter.

Ouvrir l'espace

« Le voyage spatial pourrait connaître une évolution semblable aux débuts de l’aviation », prédit François Spiero, responsable des orientations stratégiques au CNES. « Au début, seuls les pilotes d’essai volaient sur des engins complexes et… dangereux. Puis lorsque l’on a maîtrisé les machines, les pilotes ont embarqué des passagers et peu à peu, les vols sont devenus accessibles à des profils plus variés. »

Les projets actuels préparent en tous cas une ouverture plus large des vols spatiaux. Dans quelques années peut-être, des astronautes professionnels piloteront les engins spatiaux, d’autres poursuivront la recherche dans des stations spatiales, tandis que des équipages spécialisés iront commander des robots extracteurs de minerais…

je_pesquet_training_isoyuz.jpg
Comme le français Thomas Pesquet, ici à l’entraînement dans un simulateur Soyouz en 2016, les astronautes doivent encore subir un long entraînement physique, psychologique et technique avant d’embarquer pour l’espace. Crédits : GCTC

Autoroutes spatiales

Pour desservir les différentes destinations spatiales, des échangeurs spatiaux pourraient voir le jour. Une station en orbite terrestre basse pourrait servir de première base. De là, des engins rejoindraient une station en orbite autour de la Lune équipée de halls de départ vers Mars ou d’autres corps célestes.

À chaque destination son engin. Des navettes ou des petites capsules vers la banlieue terrestre, des capsules vers la Lune et des trains spatiaux encore plus gros pour rejoindre Mars. Elon Musk, le patron de Space X, utilise l’argent et le savoir-faire acquis avec ses vaisseaux Dragon (cargo et habités) à destination de l’ISS, pour finaliser son projet de vaisseau martien.

Une autre société américaine, Sierra Nevada, met au point une nouvelle navette, appelée Dream Chaser. L’entreprise était candidate pour effectuer des vols habités vers l’ISS dès 2019. Pour l’instant, la NASA l’a retenue pour des vols cargo de ravitaillement en 2020. Mais la version habitée pourrait suivre, avec la NASA ou les… européens.

je_dream-chaser.jpg
La société US Sierra Nevada veut imposer son Dream Chaser sur les vols habités en orbite terrestre basse. Ses atouts : un atterrissage moins brutal que le Soyouz (1,5 G à la rentrée atmosphérique contre 4 G pour Soyouz) et sa petite taille (7 m pour 6 à 7 passagers), qui lui permet de tenir dans la coiffe d’une fusée.

Un taxi pour Mars

Prochaine destination de sport d’hiver, un séjour sur Mars pour dévaler les flancs du Mont Olympus couverts de glace carbonée ? C’est encore un peu tôt. Même en orbite terrestre basse, le tourisme spatial peine à démarrer. Il existe des projets d’hôtel spatial ou de séjours touristiques dans l’ISS, mais aucun taxi pour s’y rendre. Ni aujourd’hui ni à court terme. Pour l’instant, les projets de vol grand public à bord de l’avion-fusée Spaceship de Virgin Galactic ou de la capsule touristique New Shepard de Blue Origin se limitent aux vols suborbitaux, à la frontière spatiale qui se situe à 100 km au-dessus de la Terre.

Alors, quand irons-nous sur Mars ? Plusieurs projets nous y préparent : ceux des milliardaires américains Elon Musk (Starship) et Jeff Bezos (New Glenn), le Space Launch System (SLS) de la NASA ou le Long March 10 chinois. « Les technologies actuelles le permettent », assure Christophe Bonnal. « Reste à choisir la solution la plus efficace et la moins coûteuse, car, pour envoyer 4 personnes sur Mars, il faut lancer en orbite terrestre basse une ou plusieurs charges à assembler, pesant au total quelques 120 tonnes, afin de disposer des réserves nécessaires en carburant, nourriture, oxygène, équipements, etc. »
Autre problème, le facteur psychologique : comment sera supporté le voyage de 2 ans minimum pour un aller-retour avec un délai de communication de 20 minutes avec la Terre et aucun moyen de faire demi-tour en cas de problème ?  Sans compter les problèmes physiologiques liés à la micropesanteur et aux radiations.

La démocratisation de ces vols longue distance pourrait venir du développement de la propulsion nucléo-électrique, notamment à l’étude à l’ESA et avec le CNES. Mais il faut patienter encore un peu. Entre-temps, les premiers voyages lunaires, prévus pour 2030, commenceront à élargir notre horizon.

https://www.youtube.com/watch?v=0qo78R_yYFA

je_ascenseur.jpg
Crédits : Obayashi

Un ascenseur pour l’espace ?

Pour relier la terre à une station en orbite basse, certains rêvent d’un ascenseur spatial. « Une plaisanterie ! » tranche Christophe Bonnal.

« Le risque de collision est de 14 impacts majeurs par jour avec des débris spatiaux, ce qui implique des réparations permanentes. Il faudrait par ailleurs 20 Megawatts pour propulser la cabine le long d’un axe vertical à 200/300 km/h. C’est quatre fois plus qu’un TGV ! Comment l’alimenter, avec un laser ? »