14 Avril 2020

Télescopes : voir l’infini et au-delà

Oumuamua... Quel drôle de nom ! Il signifie en hawaïen "messager venu de loin et arrivé le premier" et désigne un astéroïde détecté en octobre par le télescope PAN-STARRS1 installé à Hawaï. Oumuamua vient en effet d'une autre étoile, ne faisant que passer dans notre Système solaire. De tels astéroïdes, il en passe chaque année. Mais auparavant, les télescopes n'étaient pas assez puissants pour les détecter. Aujourd’hui, ce sont de véritables observatoires, des concentrés de technologie, qui permettent de voir le visible et l’invisible, et ainsi, mieux comprendre notre Univers.
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© Russel/ESO 

LA TÊTE EN L’AIR ET LES PIEDS SUR TERRE… OU PAS ! 

T’as d’bons yeux, tu sais ? 

Un télescope permet d’observer les étoiles et les planètes, ou, plus exactement, la lumière qu’émettent ces objets célestes, grâce à des miroirs contenus dans le tube de l’instrument. Il grossit ces objets, mais surtout, il augmente leur luminosité. On peut ainsi voir des choses très éloignées ou peu lumineuses, que l’on ne verrait pas à l’œil nu. Par exemple, un gros télescope, avec un miroir de 8 mètres de diamètre, collecte 2 millions fois plus de lumière que notre petit œil !

Un peu d’histoire 

Les premiers télescopes sont apparus au 17e siècle. Des grands savants comme Galilée (1564-1642), Johannes Kepler (1571-1630) ou Isaac Newton (1643-1727) les ont utilisés et perfectionnés. Aujourd’hui, vous, moi, la voisine… tout le monde peut s’acheter, voire se construire un petit télescope pour observer les planètes de notre Système solaire ou des étoiles proches. Mais pour observer plus loin dans l’Univers, il faut de gros télescopes, beaucoup plus sophistiqués et performants que leurs ancêtres. Ils sont construits par les organismes de recherche, les Etats ou les agences spatiales.

Sur Terre, comme au ciel…

La plupart des grands télescopes se situent dans les mêmes régions : les montagnes du Chili ou les volcans d’Hawaii et des îles Canaries. Des zones d’altitude et désertiques pour éviter les nuages et la lumière des villes… Par exemple, le Very Large Télescope (VLT) a été construit au Chili, à 2635 m d’altitude, dans le désert d’Atacama. De plus, en « hauteur », l’atmosphère est moins dense. C’est un atout car cette dernière peut brouiller l’image. En effet, les petites particules (photons) qui composent la lumière peuvent être déviées par l’atmosphère, générant une image floue.Envoyer des télescopes dans l’espace, c’est encore mieux pour éviter les perturbations et les nuages ! Le plus célèbre des télescopes spatiaux, c’est Hubble. A 600 km environ au-dessus de la Terre, il scrute l’Univers depuis plus de 25 ans.Autre intérêt : dans l’espace, les télescopes peuvent observer dans toutes les longueurs d’ondes. Et voir ce qui est invisible à l’œil humain qui ne capte que certaines ondes électromagnétiques (dont fait partie la lumière). Les télescopes spatiaux peuvent capter, eux, les lumières infrarouge et ultraviolette, les rayons X et les rayons gamma (comme ceux produits pendant une explosion nucléaire),  ou encore les ondes radio.Mais ils valent très cher. Jusqu’à présent, Hubble a coûté près de 13 milliards d’euros à la NASA !  
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Hubble, développé par la NASA et l’agence spatiale européenne, a pris des dizaines de milliers d’images comme celle-ci. Mais les premières étaient floues : en 93, des astronautes ont été envoyés dans l’espace pour le réparer.©  NASAESA, and the Hubble Heritage Team (STScI/AURA

Voilà à quoi ressemblera le futur télescope géant ELT et son grand miroir de 39 mètres de diamètre. (Vue d’artiste) © ESO

Un dessin de 1882 du télescope d’1,20 mètre à l’Observatoire de Paris. © C. Gerboz, “Télescope de 1,20m de l’Observatoire de Paris,” Bibliothèque numérique - Observatoire de Paris

pilot, un tÉlescope dans une nacelle embarquÉe sous ballon

Pilot, un télescope développé par le CNES et l’IRAP (Institut de Recherche en Astronomie et Planétologie), ne fonctionne ni au sol, ni dans l’espace : il est installé dans la nacelle d’un ballon stratosphérique, à 40 km d’altitude : moins de nuages et de perturbations que sur Terre, mais aussi moins cher qu’un envoi dans l’espace.

DE PLUS EN PLUS GROS

Pour voir loin, il faut voir grand !

Plus un télescope est grand, plus il est performant. Plus précisément, plus son miroir, qui collecte la lumière, est grand et de bonne qualité, et plus il peut observer des objets éloignés et/ou peu lumineux.Aujourd’hui, le plus grand télescope du monde est doté d’un miroir de 10 mètres de diamètre : le Gran Telescopio Canarias (GTC), construits dans l’île des Canaries.Au Chili, l’européen VLT (Very Large Telescope – Très grand télescope) est aussi très performant. Il s’agit en fait d’un ensemble de 4 grands télescopes, chacun possédant un miroir de près de 8 mètres de diamètre.

Miroir, mon beau miroir

Fabriquer un miroir optique de grande taille n’est pas une mince affaire. Plus il est grand, plus il est lourd et fragile. Quand l’on déplace le télescope, pour suivre une étoile par exemple, le miroir risque de se déformer, pire, de se casser. Les industriels et les agences spatiales, comme le CNES, mènent sans cesse des recherches dans la fabrication des miroirs, sur les matériaux notamment, pour qu’ils restent rigides mais les plus légers possibles. Car plus le télescope est lourd, plus son lancement dans l’espace coûte cher. Aujourd’hui, ils sont fabriqués en carbure de silicium (céramique), en Zerodur (un type de verre) ou encore en métal. Ils sont ensuite recouverts d’aluminium, d’argent ou d’or pour réfléchir la lumière. On fabrique même des miroirs en plusieurs morceaux, que l’on assemble ensuite. C’est utile pour les télescopes spatiaux. Repliés, les miroirs peuvent entrer dans la coiffe de la fusée !

optique active et optique adaptative

Pour être le plus performant possible, un miroir doit avoir une forme parfaite : une petite bosse ou un petit creux, même 50 000 fois plus petit qu’un cheveu, peut perturber l’image. Aujourd’hui, les miroirs sont tellement fins qu’ils se déforment sous leur propre poids. Du coup, des pistons sont placés en-dessous pour corriger ces déformations. C’est ce que l’on appelle l’optique active. Les ingénieurs utilisent le même principe pour améliorer l’image des télescopes terrestres. L’image est en effet déformée par l’atmosphère. Grace à des pistons, le miroir corrige ces turbulences, en temps réel. C’est ce que l’on appelle l’optique adaptative.

Toujours plus gros

Il sera le plus grand télescope du monde. Et il sera européen. L’EELT (European Extremely Large Telescope) est en cours de construction au Chili. Aujourd’hui, les miroirs des plus grands télescopes font environ 10 m de diamètre. Celui de l’EELT fera 39 m de diamètre ! La coupole qui abritera l’instrument pourra contenir l’Arc de Triomphe. Il pourra capter des lumières 15 fois plus faibles que les meilleurs instruments d’aujourd’hui.Dans l’espace aussi, les projets sont de plus en plus ambitieux. On peut citer la mission européenne PLATO, à laquelle participe le CNES, et qui sera lancée en 2026. Ce satellite sera envoyé à 1,5 million de km de la Terre, emportant 26 petits télescopes qui couvriront un champ de vue très large. Ou encore l’américain JWST, le successeur de Hubble, dont le miroir fera 6,5 m de diamètre.

Les 4 télescopes du VLT peuvent aussi travailler ensemble pour être encore plus performants. © J.L. Dauvergne & G. Hüdepohl (atacamaphoto.com)/ESO

Le miroir du futur télescope spatial JWST sera composé de 18 morceaux qui se déploieront une fois dans l’espace. © Ball Aerospace/NASA

 

Légende Ce dessin permet de comparer la taille du futur EELT avec le VLT qui fonctionne actuellement au Chili. © ESO 

mais pour voir quoi ? 

Remonter le temps

Les grands télescopes permettent d’observer les toutes premières galaxies, formées peu de temps après le Big Bang il y a plus de 13 milliards d’années. Magie ? Non, science : ces galaxies se situent à des milliards d’années-lumière de la Terre. C’est-à-dire que leur lumière, leur image, met des milliards d’années à nous parvenir. L’image que nous recevons seulement aujourd’hui est donc celle « prise » il y a des milliards d’années.

Exoplanètes

Autre quête des scientifiques aujourd’hui : les exoplanètes. Ces planètes qui tournent autour d’autres étoiles que notre Soleil. Beaucoup ont déjà été détectées. Mais nous ne connaissons pas encore leurs caractéristiques. Ont-elles des nuages ? Une atmosphère ? De l’eau ? Lancé en 2006, le télescope spatial CoRot, développé par le CNES, a ainsi permis de détecter et d’étudier 35 exoplanètes. Le télescope américain Kepler en a découvert plus de 2300. Aujourd’hui, c’est le satellite européen Gaia qui, à l’aide de 2 télescopes, réalise une cartographie complète du ciel, de ses 2 milliards d’étoiles et de ses centaines de milliers d’exoplanètes et d’astéroïdes.

Comment détecter les exoplanètes 

Elucider des mystères

Beaucoup de phénomènes restent mystérieux. Par exemple, en 1998, les scientifiques ont découvert que l’Univers est en expansion de manière accélérée, poussé par une force invisible que l’on appelle l’Energie Noire. Un phénomène qu’ils n’expliquent pas. Ce sera la mission du télescope européen EUCLID, qui doit être lancé en 2020 : comprendre l’accélération de cette expansion.

 

Le télescope spatial James Webb, dont le lancement est prévu en 2019, devrait nous en apprendre plus sur les premiers instants de l’Univers. © Northrop Grumman/NASA’s JWST

L’expansion accélérée de l’Univers reste un mystère pour les scientifiques.

© NASAESA, and the Hubble Heritage Team (STScI/AURA

femmes vs ordinateurs

Les télescopes collectent des tonnes de données numériques. Gaia par exemple enregistrera l’équivalent de 250 000 DVD ! Des données aujourd'hui analysées par des ordinateurs. Mais avant ? A la fin du 19e siècle, les ordinateurs n’existent pas. Le directeur de l’Observatoire de l’Université d’Harvard (USA), Edward Pickering, fait donc appel à des femmes pour analyser les images du ciel. Pourquoi ? Car elles coûtent beaucoup moins chères que des hommes. On les appelle les « Harvard-Computers ». Leur travail a permis la publication, en 1890, du premier catalogue du ciel avec plus de 10000 étoiles. Certaines de ces femmes sont devenues des astronomes réputées, comme Williamina Fleming. Edward Pickering l’avait recrutée alors qu’elle était femme de ménage ! © Harvard College Observatory, Glass Plate Collection