21 Octobre 2012

Une vie de rover

Sur les sols lunaires et martiens, cinq générations de robots accomplissent depuis 1970 des missions d'exploration. De Lunakhod à Curiosity, les prouesses techniques se succèdent...

Galerie de portraits

Avec Curiosity, le rover de la mission MSL qui s'est posé sur Mars en août 2012, voilà la 5è génération de rovers envoyée par l'Homme sur les sols lunaires ou martiens. Feuilletons l'album de famille...

Les glorieux ancêtres

Des robots qui crapahutent à la surface de corps célestes, cela ne date pas d’hier. Dès 1970, soit un an après l’astronaute américain Neil Armstrong, un rover d’exploration russe pose ses roues sur la Lune.

Téléguidé depuis la Terre, Lunokhod 1 (prononcer « Lunarod 1 ») arpente le sol lunaire équipé de caméras et d'instruments d'analyse du sol. Il est rejoint en 1973 par son frère Lunokhod 2.

Mais une fois ces programmes lunaires achevés, les rovers sont délaissés au profit de sondes moins chères et moins complexes à concevoir. Ces dernières collectent de grandes quantités de données rien qu’en survolant des astres lointains.

Mais après avoir été survolé par une dizaine de sondes, Mars, qui focalise toutes les attentions dans les années 1990, incite les chercheurs à ressortir les rovers du placard. En effet, rien ne vaut une machine à même le sol martien pour le scruter à la loupe. Ainsi, en 1997, le petit rover américain Sojourner imprime pour la première fois ses traces de roues sur la planète rouge.

Les jumeaux Spirit et Opportunity le rejoignent en 2004. Curiosity, qui fait la une depuis l’été dernier, est le 9e représentant de cette élite mécanique.

 

Rover : une espèce en mutation

Étonnamment, Curiosity et son aïeul Lunokhod 1 se ressemblent beaucoup, avec leurs nombreuses roues motrices, leurs caméras mobiles et leur masse imposante.

Pourtant, il y a entre eux autant de différences qu’entre une 2CV et une Formule 1. En effet, en quarante ans, la qualité de la technologie embarquée et la puissance de calcul ont fait un bond colossal.

Bien plus qu’un simple engin téléguidé, Curiosity sait désormais élaborer des trajectoires à partir de ses propres observations. Pour cela, il génère un modèle 3D de son environnement à partir de couples d’images de ses caméras stéréoscopiques puis choisit le chemin le plus adapté dans la direction commandée depuis la Terre.

Pour éviter les mauvaises surprises, il recalcule souvent sa trajectoire : tous les quelques mètres sur sol accidenté, moins fréquemment en terrain plat. Curiosity devrait ainsi pouvoir avancer de quelques dizaines à centaines de mètres dans une journée.

Opportunity : l'increvable machine

Au départ, sa mission ne devait durer que 90 jours. Mais lorsqu’il a posé ses roues sur le sol martien le 25 janvier 2004, Opportunity était particulièrement motivé. La preuve, il fonctionne encore ! Son jumeau Spirit, arrivé trois semaines plus tôt, a lui aussi largement dépassé les prédictions et parcouru 7,7 km au lieu des 600 m prévus.

Mais il a fini par s'enliser définitivement dans un sol trop mou. Et malgré les tentatives de la NASA pour le sortir de là, ses batteries ont fini par se vider. Il a cessé d’émettre le 22 mars 2010 et la NASA a signé l’acte de décès le 25 mai 2011.

Opportunity, lui, est toujours à pied d'œuvre. Après plus de huit ans de mission, le rover géologue en est à plus de 34 km parcourus et poursuit sa route, à la recherche de traces d'eau à la surface de la planète. Pourquoi une telle endurance par rapport à la mission programmée ?

La fiabilité du véhicule tant pour la mécanique que l’électronique est un paramètre, mais il est certain qu'Opportunity doit également sa longévité aux impressionnantes tornades martiennes qui, de temps à autre, nettoient ses panneaux solaires de leur couche de poussière. Un peu de ménage, et ça repart !

Curiosity : le poids lourd de l’exploration spatiale

Curiosity a beau être le petit dernier de la famille des rovers, ce n’est pas pour autant une demi-portion. Il s'est posé avec succès le 6 août 2012 sur le sol martien, après 9 mois de voyage. De la taille d’une voiture, ce colosse est en effet bardé d’un équipement high-tech impressionnant. Caméras haute définition, station météo, laser, spectromètre, etc. Curiosity renferme pas moins de dix instruments de haute précision.

Parmi eux, deux appareils en partie made in France : le mini laboratoire de chimie SAM chargé de traquer d’éventuelles molécules organiques témoignant d’une trace de vie passée (ou présente) ; et ChemCam qui pulvérise les cailloux à coups de laser afin d’en étudier la composition à distance.

Bref, tout le nécessaire pour analyser la nature des roches, du sol et de l'air, mais aussi détecter d'éventuelles traces d'eau et prendre des photos d'une résolution inégalée.

En effet, la mission de Curiosity est d’évaluer si la planète Mars a pu un jour accueillir la vie, mais aussi de mieux comprendre sa géologie et son climat. Des informations essentielles avant d’envisager une éventuelle mission habitée.


Animation : l'atterrissage du rover Curiosity par CNES

 

 

 

 

Dans la jungle extraterrestre

La vie de rover n'est pas un long fleuve tranquille !....Ils doivent survivre à de longs voyages puis à des conditions "climatiques" extrêmes pour faire leur travail.

Atterrissage : mission délicate

Pour un rover, la phase d'atterrissage est la plus critique. En effet, si les boucliers thermiques cèdent, la sonde finit carbonisée par le frottement contre l’atmosphère.

Ensuite, si le parachute ne se déploie pas, si les rétrofusées ou les airbags tombent en panne, le rover peut se fracasser au sol. Pour accompagner le colosse Curiosity, il a même fallu imaginer un système encore plus complexe : une grue-hélicoptère qui l’a lentement descendu au bout de trois câbles.

Malgré ces difficultés, atterrir sur Mars est un jeu d’enfant en comparaison de ce qui attendrait nos rovers s’ils souhaitaient mettre une roue sur Mercure ou sur l’un des énormes satellites de Jupiter (Ganymède ou Europe). L’attraction y est si forte qu’il faut freiner des quatre fers sous peine de s’encastrer dans le sol à l’arrivée faute d’une atmosphère pour se ralentir.

À l’inverse, sur Vénus et Titan (un satellite de Saturne), l'atmosphère est si dense que la descente se fait au ralenti. Il faut même prévoir d'accélérer la sonde pour ne pas la voir fondre ou geler dans les airs ! Et sur des petits corps à densité ultra-faible, comme les astéroïdes et les comètes, le risque, c'est de rebondir voire de s'envoler au moindre tour de roues !

Mars la terrible

S’il survit à son atterrissage, le rover peut alors contempler les plaines martiennes avec leurs splendides étendues ocre et pierreuses… Mais pour nous autres humains, il vaut mieux les contempler en photo que partir en vacances là-bas.

En effet, les conditions qui règnent sur la planète rouge sont tout simplement épouvantables. Imaginez un désert glacé et irrespirable, composé à 95 % de CO2, balayé par de monstrueuses tempêtes de sable et de poussière pendant près de six mois.

En plus, la doudoune ne suffit pas car si la température peut monter jusqu’à 20 °C à l'équateur à midi, elle dégringole à près de… -100 °C la nuit ! Sans compter la pression atmosphérique suffisamment faible (10 millibars, contre 1 000 sur Terre) pour faire bouillir le sang d'imprudents visiteurs humains.

Heureusement, les robots y sont peu sensibles, tout comme aux UV qui bombardent la surface de Mars de doses mortelles car l'atmosphère de la planète est trop fine pour les filtrer. 

Les températures extrêmes, mortels ennemis

Costauds les robots ? Oui, mais pas indestructibles pour autant ! Leur ennemi n° 1 est la température.

Sur Vénus et Mercure, le thermomètre monte à plus de 400 °C. Comme on ne sait pas stocker du froid pour rafraîchir les fragiles composants électroniques, les engins envoyés là-bas ne survivent que le temps d’une mission de quelques heures à quelques jours.

Les entrailles mécaniques des machines supportent un peu mieux le froid, mais dans une certaine mesure ! À -100 °C durant la nuit martienne, voire -200 °C sur Titan ou la nuit sur la Lune, certains composants comme les batteries ou l'électronique rendraient l'âme.

Ces éléments particulièrement frileux sont donc pourvus de douillettes petites résistances chauffantes. Le reste du robot, lui, se laisse anesthésier par le froid. Une fois le jour revenu, le rover doit alors commencer par se réchauffer avant de pouvoir reprendre son travail.

Tant d'autres menaces

En plus des températures extrêmes, de nombreux autres facteurs peuvent aussi jouer de mauvais tours aux robots d’exploration.

À commencer par le sable et la poussière, qui risquent d’abimer les pièces mobiles s'ils parviennent à s'y introduire.

De plus, ils obscurcissent les optiques des caméras et les panneaux solaires, réduisant ainsi leur rendement, et donc l'énergie disponible pour le rover. Peu sensibles aux rayons ultraviolets du Soleil, contrairement à nous, fragiles humains, les rovers supportent néanmoins très mal les fortes doses de radiations cosmiques.

Ces particules chargées (électrons et atomes ionisés) perturbent l'électronique des calculateurs, entraînant des courts-circuits ou le plantage du calculateur. Heureusement, sur Mars, elles sont faibles. En revanche, sur Europe (satellite de Jupiter et cible potentielle d’une exploration spatiale), elles sont assez puissantes pour mettre KO un rover.

Enfin, reste une autre menace de taille : l'accident de parcours. Tomber dans un ravin, s'enliser dans du sable, casser une roue sur un rocher plus gros que prévu… Mieux vaut réfléchir à deux fois avant de s'engager sur une route incertaine !

 

 

Une préparation digne des JO

L'exploration robotique bénéficie des dernières avancées technologiques. De longues années de mise au point, puis une batterie de tests sont nécessaires avant d'envoyer dans l'espace des robots avec lesquels la communication n'est pas instantanée...

Check-list avant le départ

Partir sur la Lune, Mars ou ailleurs requiert un équipement à toute épreuve. Outre des écarts de température d’une centaine de degrés, les radiations et l’agression permanente de la poussière qui s’infiltre partout, les robots doivent aussi supporter… le voyage.

En effet, le matériel doit pouvoir résister aux vibrations et à l’accélération du décollage. C’est que ça secoue une fusée ! Ensuite, il faut affronter le vide (et donc l’absence de pression) durant le voyage interplanétaire, qui met les joints à rude épreuve.

Pour être sûr de ne rien laisser au hasard, les robots passent une batterie de tests sur Terre, en laboratoire. Compatibilité électromagnétique de certains composants, résistance aux vibrations et aux températures extrêmes sous vide, autant d’épreuves que doivent surmonter les robots avant d’être estampillés « bon pour le service ». Et pour finir, rien de tel qu’une bonne stérilisation à chaleur sèche pour exterminer toute trace de bactérie terrienne. Pas question d'aller polluer d'autres planètes !

Trouver les bonnes chaussures

Quel est le mode le plus adapté pour crapahuter sur une autre planète ? Des chenilles comme le petit robot Wall-E ? Des roues ? Des pattes ? Une équipe russe a mené une étude comparative dans les années 1960-70 et a conclu que pour Mars ou la Lune, les roues représentaient le moyen le plus performant et le moins coûteux en énergie.

Les chenilles nécessitent un moteur ultra-puissant et n'ont d'intérêt que sur un terrain très accidenté. Les pattes de type araignée sont à l'étude car elles permettraient de franchir des obstacles plus hauts. Mais le système est plus fragile, très gourmand en énergie et surtout beaucoup plus sophistiqué. Pour garder l'équilibre, un tel rover devrait disposer d'une puissance de calcul phénoménale pour analyser en instantané les données des capteurs d'effort.

Reste alors à savoir combien mettre de roues.

Quatre ? Six ? Huit ? Comme la place dans le lanceur ne varie pas, il faut choisir entre quelques grosses roues (qui permettent de franchir des obstacles plus gros) ou des roues plus petites mais plus nombreuses (pour un meilleur équilibre). La solution à six roues apparaît souvent comme le meilleur compromis.

La preuve : les quatre rovers ayant roulé sur Mars ont opté pour cette solution.

Un pilotage particulier

Grosso modo, diriger un rover sur la Lune, c’est comme piloter une voiture télécommandée sur Terre.

Notre satellite est suffisamment proche pour que la communication se fasse en continu, avec un décalage d'une seconde entre l'envoi de l'ordre et sa réception.

Avec Mars, les choses se corsent. Les délais de communication varient de 3 à 22 minutes en fonction de la position de la Terre par rapport à sa voisine (entre 55 et 400 millions de kilomètres).

Impossible dans ces conditions de faire piler le rover sur place si un canyon apparaît soudain dans ses caméras ! De plus, la communication entre le robot et la Terre s’effectue via des satellites en orbite autour de Mars.

Or, ces derniers ne « voient » le rover qu’une à deux fois par jour, durant une dizaine de minutes seulement. Toutes les informations doivent donc être échangées durant cette courte période. Ces contraintes n'autorisent des avancées quotidiennes que de quelques mètres. D’où l’intérêt des capacités de Curiosity à pouvoir calculer lui-même ses trajectoires. 

Prévoir l'imprévisible

Que ce soit sur Mars, la Lune ou ailleurs, difficile de trouver un garagiste… Les robots n'ont pas intérêt à tomber en panne, sous peine d'être perdus. Les ingénieurs les équipent donc dès le départ des matériaux les plus résistants. Certains éléments critiques, comme des calculateurs, sont même placés en double.

Mais cela n'est possible que pour le strict nécessaire, car à 700 000 euros le kilo d’équipement, on réfléchit à deux fois avant d’ajouter le moindre matériel !

Les ingénieurs ont aussi recours à des astuces. Les caméras sont par exemple placées de telle sorte que si l'une rend l'âme, une autre peut prendre le relais tout en continuant à jouer son propre rôle.

Les résultats sont moins bons, mais la mission n'est pas compromise. Autre bonne idée : quand le rover est au repos, ses éléments mobiles sont orientés vers le bas pour les protéger de cette satanée poussière.

Quant à Curiosity, il n’est même plus dépendant de ses panneaux solaires. Son énergie, il la tire d’une pile radioactive conçue pour produire de l'électricité pendant… quarante ans !