13 Avril 2014

Les maîtres du temps

Selon la théorie de la relativité d'Einstein, le temps est "élastique" : il s'écoule plus ou moins vite ! Sera-t-il un jour possible de voyager dans le temps ?

Les scientifiques de l’espace : des super héros ?

L'homme rêve depuis longtemps de pouvoir "manipuler" le temps. Des expériences sont menées un peu partout dans le monde, notamment par les ingénieurs du CNES.

Pas la télékinésie, mais la… ?

Question de culture générale : dans la série Heroes, l’informaticien Hiro Nakamura se découvre un super pouvoir, lequel ?

Indice : il parvient à ralentir et accélérer les aiguilles des horloges. Réponse : c’est la chronokinésie. Un mot compliqué qui signifie la capacité à manipuler le temps.

Cela paraît difficile à croire, mais les ingénieurs du CNES maîtrisent eux aussi la chronokinésie : ils préparent en ce moment une expérience scientifique dont l’objectif est de provoquer et d’observer une modification de l’écoulement du temps.

Si Hiro peut suspendre complètement le temps, figeant par exemple sur place les passants d’une rue, les ingénieurs du CNES, eux, ne s’attendent pas à un effet aussi spectaculaire. Mais ils devraient tout de même parvenir à accélérer la course d’une horloge !

Des horloges font le tour du monde

L’un des buts des ingénieurs du CNES est d’améliorer des expériences de "manipulation du temps", dont l’une des plus incroyables a été celle de Joseph Hafele et Richard Keating, en 1971.

Ces deux physiciens américains avaient placé des horloges ultraprécises à bord d’avions de ligne.

De vol en vol, les horloges avaient effectué un tour du monde, certaines voyageant vers l’Ouest, d’autres vers l’Est.

À leur retour au point de départ, les horloges avaient été comparées avec celles restées à terre : les heures ne coïncidaient plus !

Celles voyageant vers l’Ouest avaient avancé de 275 milliardièmes de seconde par rapport à l’horloge terrestre, alors que celles traversant le ciel par l’Est avaient pris un retard de 59 milliardièmes de seconde.

Autrement dit, le voyage avait accéléré le temps pour les unes et ralenti pour les autres !

Vous avez l’heure, docteur Einstein ?

"Magique," direz-vous ? "Évidemment non," vous répondrait Albert Einstein.

Car la théorie de la relativité, dont il est l’un des pères, explique parfaitement ces phénomènes. Selon cette théorie, le temps et la vitesse sont des paramètres dépendants ! Plus on se déplace vite, plus le temps ralentit autour de soi (et donc plus la montre à son poignet retarde)…

Cela mérite une explication ! Pour appliquer la théorie de la relativité, il faut mesurer la vitesse non par rapport à la surface de la Terre, mais par rapport au centre de la planète.

Dans ce référentiel, un avion se déplaçant vers l’Est cumule sa propre vitesse et celle de la Terre qui tourne justement d’Ouest en Est.

Il va donc plus vite que la surface de la Terre par rapport à son centre, donc, d’après Einstein, le temps ralentit à l’intérieur de la carlingue.

À l’inverse, en allant vers l’Ouest, l’avion retranche sa vitesse à celle de la Terre, le temps s’accélère donc par rapport à celui qu’on mesure sur Terre.

Les horloges atomiques

Comment Hafele et Keating ont-ils pu mesurer des durées à des milliardièmes de seconde près ?

Pas question d’utiliser une montre à quartz, trop imprécise : les deux physiciens ont eu recours à des "horloges atomiques".

Leur principe est connu depuis 60 ans : le "tic-tac" de ces horloges est donné par un nuage d’atomes qui traverse une "boîte" emplie d’ondes radio.

Ce sont ces ondes qui, en quelque sorte, demandent l’heure aux atomes du nuage.

Les ondes radio cèdent de l’énergie aux atomes, qui, en retour, réémettent une onde électromagnétique. Les ondulations de cette onde fournissent ensuite le "tic-tac" : ainsi, la seconde correspond à la durée de 9 192 631 770 ondulations d’une onde émise par un nuage d’atomes de césium.

C’est la définition officielle.

En savoir plus :

Les horloges atomiques : pour faire quoi ?

Quelle heure est-il ? Demandez donc aux horloges atomiques, car ce sont elles qui définissent le temps sur Terre ! Mais elles ont aussi bien d’autres applications…

Pour définir le temps international

Sans que nous en ayons conscience, les horloges atomiques terrestres rythment notre quotidien car elles déterminent le "temps international", celui qui sert de référence sur Terre.

Il permet de déterminer les fuseaux horaires, et par conséquent l’heure dans chaque zone géographique. On l’utilise aussi pour synchroniser les communications par satellites ou faire fonctionner le système de géolocalisation GPS.

Or ce "temps international" n’a pas été tiré aux dés… Il résulte d’une moyenne de plusieurs temps enregistrés par plus de trois cents horloges atomiques réparties sur le globe.

Ce système est considéré comme plus "démocratique" que l’ancien, où une horloge "mère" donnait quelque part dans le monde le temps de référence.

Pour télécommander les sondes spatiales

Localiser les sondes spatiales qui voyagent aux confins du système solaire n’est pas aussi simple que lancer une recherche sur GoogleEarth.

Pour cela, la NASA est obligée de communiquer régulièrement avec les sondes, via le "deep space network", un réseau international d’antennes installées aux États-Unis, en Australie et en Espagne.

Pour réduire le temps de communication avec les sondes et ainsi, le temps d’utilisation du réseau d’antennes, la NASA développe une horloge atomique pesant moins d’un kilogramme !

L’horloge miniature sera embarquée dans les prochaines sondes de l’agence. Ainsi dotée, la sonde deviendra incollable sur le temps écoulé entre deux transmissions avec la Terre.

Avec cette donnée en plus, les ingénieurs calculeront plus vite la position de la sonde, économisant ainsi des échanges avec l’engin spatial.

Pour la recherche fondamentale en cosmologie

Bizarrerie dans l’espace : en analysant le déplacement des sondes Pioneer 10 et 11, toujours en fonctionnement depuis leur lancement en 1972 et 1973, les ingénieurs de la NASA ont constaté que leur trajectoire s’écartait de plus en plus de celle calculée compte tenu de l’attraction des planètes du système solaire.

L’une des explications à cette épine dans le pied à la physique moderne est que la loi de la gravitation se comporte différemment à petite échelle (comme on peut l’observer sur notre planète) et à l’échelle du système solaire.

Dans un proche avenir, "on enverra des horloges atomiques autour du Soleil pour tester les lois de la gravitation à une autre échelle," promet Didier Massonnet, chef du projet Pharao au CNES.

L’enjeu sera de vérifier si l’écoulement du temps est perturbé à proximité de l’astre de la même manière que sur Terre, ou bien s’il subit lui aussi une anomalie, tout comme les trajectoires des deux Pioneer… Et, éventuellement, de corriger en conséquence la théorie de la relativité.

Pour prospecter du pétrole

Dans l’Antiquité, on mesurait le temps qui passe en observant l’eau s’écouler dans un réservoir (principe de la clepsydre).

Dans un futur proche, c’est l’inverse qui nous attend : on mesurera un niveau de liquide avec une horloge !

"À long terme, on disposera d’horloges sensibles à une différence du potentiel de gravité correspondant à une variation d’altitude de seulement un centimètre," prophétise Didier Massonnet.

On pourra donc "observer" sur une horloge atomique l’effet d’une baisse de nappe phréatique (réserve souterraine d’eau) due à une sécheresse, ou déceler la présence en profondeur de pétrole ou de minéraux, car ces phénomènes affectent localement la pesanteur terrestre.

Les horloges atomiques seront devenues des baguettes de sourcier, en somme.

En savoir plus :

Pharao remet les pendules à l'heure

A l'horizon 2017, un nouveau modèle d’horloge atomique sera embarqué à bord de l'ISS. Il permettra, notamment, de tester la théorie de la relativité d'Einstein.

Une précision diabolique

Une précision accrue est souvent synonyme de découvertes en physique.

D’où l’intérêt du projet Pharao, une horloge atomique ultraprécise qui sera mise en orbite en 2017, à bord de la station spatiale internationale (ISS).

Elle pourra mesurer des décalages de 0,00000000001 seconde par jour.

Si l’on s’était servi de cette horloge pour mesurer le temps écoulé depuis le Big Bang, elle indiquerait l’âge correct de l’Univers à quelques dizaines de secondes près !

Pharao ne sera pas la première horloge atomique dans l’espace (de nombreux satellites ayant besoin de connaître le temps avec précision en sont équipés), mais elle sera indubitablement la plus exacte. En effet, elle ne perdra qu’une seconde toutes les 300 millions d’années.

Une belle performance si on la compare aux horloges terrestres qui elles, perdent une seconde toutes les 50 millions d’années !

Le secret ? Une horloge surgelée

Pharao signifie : projet d'horloge atomique par refroidissement d'atomes en orbite. En effet son nuage d’atomes sera refroidi à une température proche du zéro absolu (-273°C).

Qu’apporte le refroidissement ? En physique, la chaleur est synonyme d’agitation thermique. Donc, en refroidissant à l’extrême le nuage, on ralentit considérablement ses atomes. Ce qui facilite ensuite le décompte des vibrations de l’onde qu’ils émettent ().

L’horloge bénéficiera aussi de l’impesanteur qui règne dans l’ISS : délivré de la pesanteur terrestre, le nuage d’atomes sera en quelque sorte en lévitation dans sa boîte emplie d’ondes.

Les atomes restant donc plus longtemps dans la boîte, le capteur électronique chargé d’enregistrer le tic-tac aura d’autant plus de temps pour analyser l’onde électromagnétique.

Ces deux éléments (le refroidissement et l’impesanteur) expliquent l’incroyable précision de l’horloge.


Explications en images de cette nouvelle génération d'horloges à atomes froids dont fait partie Pharao © CNES

Sport interdit ?

À sensibilité accrue, protection renforcée. L’ennemi numéro Un de l’horloge : le champ magnétique terrestre présent jusque dans l’espace.

Il parasite la réponse des atomes aux ondes radio et réduit la précision de l’horloge. La riposte : l’horloge sera blindée avec une enveloppe qui atténuera d’un facteur 100 000 le champ magnétique ambiant.

Second ennemi : les vibrations. Une station spatiale est en permanence traversée par des vibrations sonores produites par l’activité humaine à bord et le fonctionnement des instruments scientifiques.

Pour s’en prémunir, l’horloge possédera un appareil appelé accéléromètre : lorsque les vibrations sont trop importantes, l’accéléromètre indique à l’horloge qu’elle doit ignorer le temps donné à cet instant.

Mais alors, les vibrations étant plus importantes lorsque l’équipage fait du sport, l’activité physique sera-t-elle interdite pour entretenir la flamme du temps ?

A l'assaut de la théorie de la relativité

Pharao est un instrument de recherche fondamentale.

Il permettra notamment aux physiciens qui l’ont imaginé de tester si, comme le prévoit la théorie de la relativité, l’écoulement du temps est influencé par la gravité.

D’après cette théorie, le temps ralentit à proximité de toute masse. Autrement dit, le temps s’écoule plus lentement à la surface de la Terre que dans l’espace.

Ce phénomène a déjà été observé dans l’expérience de Hafele et Keating. L’horloge atomique Pharao va en affiner les résultats.

En fonction de ces mesures, il n’est pas impossible que les physiciens aient besoin de compléter la théorie de la relativité !

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