16 Mai 2010

Débris en vue : tous aux abris !

Des millions de déchets spatiaux gravitent autour de la Terre… Comment s’en débarrasser et éviter les collisions ?

Les parasites de l'espace

Avec ses millions de déchets, l’espace est tellement encombré qu’il faut surveiller les risques d’accidents. Et parfois, manœuvrer les engins spatiaux pour éviter la catastrophe !

Ils seraient des millions...

Depuis les débuts de la conquête spatiale en 1957, plus de 4 700 lancements ont eu lieu dans l’espace.

Seuls 800 satellites sont encore en activité.

Un grand nombre de satellites et d’étages supérieurs, stars du passé, continuent d’errer autour de la Terre comme des fantômes en peine. En peine de cimetière…

Car personne ne s’est préoccupé de leur trouver un cercueil !

Ces engins ne sont plus des vedettes mais des déchets : on en dénombre pas moins de 15 000 d’un diamètre supérieur à 10 cm ; 300 000 faisant plus de 1 cm et au moins 30 millions au-dessus de 1 mm.

Drôle d’équation : comment est-on passé de milliers d’engins à des millions de déchets ?

C’est que les résidus "s’autoalimentent" : lorsqu’un petit débris percute un objet, l’impact génère une centaine de nouveaux fragments !

Les surveillants du cosmos

Six mille tonnes de détritus autour de la Terre et seulement quatre accidents graves... Les systèmes de surveillance nationaux n’y sont pas pour rien.

Au Centre National d’Etudes Spatiales (CNES)  à Toulouse, le Centre d’orbitographie opérationnelle (COO) se consacre 24h/24 à vérifier qu’il n’y a pas de risque de collision pour les 18 satellites dont il a la charge.

 Il recoupe les coordonnées des gros débris avec les trajectoires prévues pour ses satellites dans les trois jours qui suivent.

Ces coordonnées, fournies par un réseau américain appelé USSPACECOM, ont une marge d’erreur de plusieurs kilomètres.

Un deuxième tri est donc réalisé à l’aide de radars militaires français : on atteint alors une précision de l’ordre du kilomètre.

Un troisième filtrage consiste à estimer la probabilité de collision : s'il y a plus d’un risque sur 1 000 d’entrer en collision, le COO alerte le centre de contrôle du satellite qui peut alors déplacer l’engin.

C’est la manœuvre d’évitement.

Etre rigoureux sans faire de zèle

En 2008, le COO a déclenché 344 alertes. Mais ne paniquez pas !

L’alerte correspond à une probabilité de risque, et non à un risque sûr et certain. D’ailleurs seulement trois manœuvres d’évitement ont finalement été réalisées.

Et pour cause : à la perte financière liée au non fonctionnement du satellite durant un à deux jours, s’ajoute la consommation de carburant : équivalente à une année de maintenance ! À ce prix, mieux vaut limiter le nombre de manœuvres au strict nécessaire.

Exemples : Spot 2, déplacé en 2007 et son grand frère Spot 4, déplacé en 2010...Heureusement, les données du COO sont assez précises pour être passées au peigne fin.

Ce n’est pas toujours le cas…


Que sont exactement les débris spatiaux ? Quelles sont leurs caractéristiques ? Depuis quand se préoccupe-t'on d'eux ? Christophe Bonnal de la Direction des Lanceurs du CNES nous répond.

Quatre rencontres fatales

La scène se déroule à 800 km au-dessus de la Sibérie, en février 2009.

Le satellite américain de télécommunications Iridium 33 vaque à ses occupations quotidiennes lorsqu’il est violemment percuté par Kosmos 2251, un satellite militaire russe abandonné depuis plus de dix ans.

C’est le quatrième accident recensé de l’histoire des débris spatiaux.

Dans l’explosion, Iridium 33 et Kosmos 2251 sont détruits. Comme tout satellite, Iridium 33 avait 1 risque sur 1 000 d’entrer en collision avec un déchet…

Pourquoi Américains et Russes n’ont-ils pas prévu le coup ? La société Iridium aurait abaissé son niveau de surveillance, car elle ne pouvait pas faire face aux nombreuses alertes reçues sur leurs 39 satellites : jusqu’à six par jour !

D’où l’importance de bien filtrer les informations en amont, et de ne délivrer d’alerte que si nécessaire.

En savoir plus :

Eviter les débris...mais encore ?

Les manœuvres d’évitement limitent la casse en éloignant les satellites des plus gros projectiles. Mais tous les petits débris de moins de 10 cm de diamètre continuent de dégrader le matériel spatial. Que faire ?

Contre une balle de fusil ? Le blindage ! 

Les déchets orbitaux ont une vitesse d’environ 8 kilomètres par seconde, soit 28 000 kilomètres par heure

À cette vitesse, une bille d’acier de 1 mm a la même énergie qu’une balle de fusil (800 m/s) ! Elle n’a aucun mal à transpercer les parois d’un satellite.

Encombré de 30 millions de billes de plus de 1 mm, l’espace est un terrain miné pour les engins spatiaux

D’ailleurs, le télescope spatial Hubble est constellé de micro-impacts, et la navette spatiale américaine doit changer un hublot après chaque sortie. Rien de dramatique, mais imaginez que la bille perfore le réservoir de l’engin : c’est l’explosion garantie !

Heureusement il existe des blindages : un empilement de couches de kevlar et autres matériaux hyper résistants.

Bonne nouvelle, mais uniquement valable pour les déchets de moins de 1 cm ! Or les plus casse-pied ont un diamètre compris entre 1 et 10 cm : trop gros pour être arrêtés par les blindages, ils sont aussi trop petits pour être repérés par les radars.


Gérer la question des débris spatiaux : un point avec Christophe Bonnal de la Direction des Lanceurs du CNES

"Le meilleur des déchets est celui qu’on ne produit pas"

Ce mot d’ordre terrestre commence à semer des petits dans l’espace. De plus en plus de pays interdisent désormais de relâcher volontairement des débris dans l’espace, et rendent obligatoire de vider les réservoirs.

Ainsi, il y a quelques années - et toujours aujourd’hui dans certains pays - astronautes et agences spatiales larguaient les objets inutiles dans l’espace : sangles reliant le satellite au lanceur, capots protecteurs d’éléments optiques, boulons destinés à libérer les structures,...

Désormais, des moyens techniques permettent d’éviter la dispersion de ces déchets en les maintenant accrochés au satellite.

Deuxième obligation : évacuer les ergols. C’est ce qu’on appelle "passiver" l’engin.

Sans cette mesure, les réservoirs hors service ont tendance à exploser comme des cocottes-minute sans soupape. Résultat : en vingt ans, plus de 200 explosions sont survenues dans l’espace !

Coup de balai !

La solution ultime : se débarrasser du déchet.

Plus facile à dire qu’à faire avec un détritus situé à plus de 200 km de la Terre.

  • À 36 000 km, on choisit de le placer sur une orbite poubelle, située 200 km au-dessus de la très convoitée orbite géostationnaire.
  • En dessous de 2 000 km, on préfère le ramener vers la Terre. Généralement, le frottement des particules atmosphériques freine les objets en orbite basse et les fait retomber dans l’atmosphère où ils brûlent en formant une belle étoile filante. Ainsi, chaque jour, au moins un petit objet spatial entre de lui-même dans l’atmosphère et s’y consume.

Si le déchet est massif, ou constitué d’un alliage particulier, une petite partie arrive à traverser l’atmosphère et toucher terre.

Mais rassurez-vous, il est moins probable de recevoir un débris spatial qu’une météorite sur la tête !

En revanche on peut provoquer, et donc contrôler, de tels hara-kiris chez les déchets : c’est la désorbitation. L’intérêt ? Nettoyer l’espace pardi ! Dans ce cas, la trajectoire de retour est prévue pour que les résidus de combustion tombent dans des zones inhabitées.

L’ATV Jules Verne : une élimination en règle

Lancé en mars 2008, le vaisseau-cargo ATV Jules Verne avait pour mission de ravitailler la station spatiale internationale (ISS).

Terminée en septembre de la même année, la mission Jules Verne peut se gargariser d’avoir été propre. Aussi bien l’étage supérieur de la fusée de lancement que le cargo lui-même ont été désorbités avec soin.

Résultat : des déchets maîtrisés !

La désorbitation de l’ATV s'est faite en deux temps : il a d’abord fallu transférer le vaisseau depuis son orbite initiale, à 330 km d’altitude, jusqu’à une orbite située à 220 km d’altitude.

 

Trois heures plus tard, une seconde manœuvre amenait le cargo de 20 tonnes jusqu’à son point de rentrée atmosphérique.

Là, il a brûlé, s’est fragmenté puis éparpillé dans une région inhabitée du Pacifique Sud, conformément aux prévisions du Centre Spatial de Toulouse. Ses restes sont toujours au fond de l’océan.

En France, une loi votée en 2008 impose que les satellites qui ne fonctionnent plus, retombent sur Terre en moins de 25 ans. Les satellites doivent donc, brûler dans l’atmosphère ou errer dans le système solaire, si leur retour est impossible.

 


Comment meurent les satellites ? par FranceInfo


La rentrée atmosphérique de l'ATV filmée au-dessus du Pacifique sud depuis un des 2 avions DC8 sur place. Crédits : ESA.

En savoir plus :

Les futurs éboueurs de l'espace

Différentes solutions ont été imaginées. Toutefois, chercheurs, ingénieurs et étudiants du monde entier planchent encore sur la meilleure des réponses… 

Le moteur suicide

Pour les agences spatiales, pas question d’envoyer des hommes verts dans l’espace : un humain qui ramasserait à la main des déchets spatiaux, rien de plus farfelu !

Une navette poubelle ? Tout aussi invraisemblable : quel filet permettrait de collecter les déchets éparpillés sur des kilomètres ?

Et que faire de la navette une fois pleine de détritus ?

Beaucoup d’idées ont été suggérées puis abandonnées. D’autres sont en cours d’élaboration, ou en phase de test.

L’une d’elles consisterait à attraper l’objet et à installer dessus un moteur à propulsion. Grâce à cette propulsion, l’objet serait dirigé vers l’atmosphère où il se consumerait.

Plusieurs types de moteur sont à l’étude : carburants solides, hybrides, ergols liquides, moteurs électriques,… Chacun avec des avantages et des inconvénients qu’il faut mettre en balance.

Le laser destructeur

La Nasa  travaille depuis plus de dix ans sur le projet Orion : il consisterait à tirer avec un laser sur les petits débris spatiaux.

Ici, le laser serait à terre ; mais on pourrait aussi bien envisager de tirer depuis le ciel ou en orbite. Le but n’est pas de détruire le déchet, mais d’en pulvériser une toute petite partie de manière à ce que les infimes fragments servent à freiner le déchet pour le redescendre, comme dans une désorbitation de satellite.

Limitée par la performance des lasers, la méthode a toutefois le mérite de s’affranchir des multiples problèmes liés à l’accrochage des déchets.

En effet, s’il faut attraper le déchet pour le détruire, que vaut-il mieux utiliser : un bras robotique, un filet, un crochet ou un câble ? La question reste ouverte.

Le câble chasseur

Autre solution, le satellite chasseur : son câble de kevlar servirait à la fois à attraper le débris et à le désorbiter.

Tendu sur une trentaine de kilomètres, le câble placerait le débris sur une orbite plus basse que le chasseur situé au-dessus.

Dans cette configuration, le câble subit une tension telle que, si on le rompt, l’extrémité basse du câble descend davantage et la partie haute remonte encore plus. D'une pierre deux coups : on pourrait ainsi obtenir une descente du déchet vers l’atmosphère et un déplacement du satellite chasseur vers un autre déchet situé plus haut.

D’après les calculs, un seul satellite chasseur pourrait ainsi désorbiter une cinquantaine de débris à la suite !

Autre solution prometteuse étudiée par plusieurs pays : le câble électrodynamique. Déployé sous un satellite et parcouru d’un courant électrique, il induirait des forces de freinage qui forcerait le déchet à descendre vers l’atmosphère.

La voile de freinage

La stratégie explorée par l’Agence spatiale européenne consiste à déployer une voile sur le satellite en fin de vie, afin qu’il redescende.

Explication. Prenez une feuille de papier, pliez-la en boule et jetez-la à l’horizontale : elle avance, puis retombe. Dépliez la feuille et jetez-la à l’horizontale : elle retombera presque aussitôt.

De la même manière, avec de grosses ailes déployées, le satellite retombe cinq à dix fois plus vite que sans ses ailes !

Vous pensiez que le vent soufflerait sur la voile ? Bigre, mais il n’y a pas de vent dans l’espace ! Juste une atmosphère résiduelle qui, malheureusement, devient trop ténue à partir de 1 000 km d’altitude pour que cette stratégie fonctionne encore…

Encore un exemple qui vient confirmer ce que chacun pressent : la solution unique n’existe probablement pas… Adapter les solutions en fonction des situations (selon la taille et l’altitude du déchet) est probablement la bonne voie.

La balle est donc du côté des ingénieurs.

 

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