14 Juin 2010

A qui appartient l'espace ?

Peut-on vendre une planète ? Comment se partager les bénéfices de l’exploitation d’un astre ? Au fur et à mesure de l’exploration spatiale, ces questions deviennent cruciales.

200 $ l'étoile...véridique !

Officiellement, l'espace appartient à tout le monde. C'est ce que déclarent des traités internationaux adoptés il y a plus de quarante ans. Pourtant, quelques rusés vendent les astres et les étoiles.

Des douaniers dans l'espace ?

Le 4 octobre 1957, l’URSS réussit un incroyable tour de force : mettre en orbite Spoutnik, le tout premier satellite du monde.

Tandis que la planète toute entière s’émerveille en écoutant le Bip ! Bip ! Bip ! de cette boule russe moustachue, les dirigeants des autres pays s’interrogent.

Ce satellite a-t-il le droit de survoler leur territoire ? Une question d’autant plus épineuse qu’on est alors en pleine Guerre froide. Après tout, un avion doit bien obtenir une autorisation de survol avant de franchir les frontières d’un autre État.

Mais le satellite, lui, vole beaucoup plus haut… Voilà l’étrange question qui s’est posée : jusqu’à quelle hauteur vont les frontières d’un pays ? Un kilomètre ? Dix ? Jusqu’à l’infini ?

 

Une propriété commune

Même après de longs débats, les États ne sont pas tombés d’accord sur les frontières entre l’atmosphère et l’espace extra-atmosphérique (au plan scientifique, on considère que l’espace commence à une altitude comprise entre 100 et 120 kilomètres).

En revanche, ils ont établi que l’espace "appartenait" à tout le monde et ne pouvait faire l’objet d’aucune appropriation.

Mieux, son exploration et son utilisation sont "l’apanage de l’humanité toute entière", d’après le (Outer Space Treaty) signé en 1967 par une centaine d’États.

Du coup, les satellites y évoluent librement sans avoir à tamponner leur passeport toutes les deux minutes.

Il en va de même pour tous les astres : aucun État n’a le droit d’en revendiquer la propriété exclusive.

La Lune est même formellement qualifiée de "patrimoine commun de l’humanité". Le drapeau planté par les Américains sur la Lune en 1969 n’est donc qu’un acte symbolique.

 

Une faille dans le texte

Sauf que de petits malins croient dénicher une faille dans ce traité de l’espace : certes, une nation ne peut pas s’approprier une planète ou un autre corps céleste, mais le texte n’interdit pas formellement selon eux l’appropriation par un individu ou une entreprise.

Et, en s’appuyant sur une vieille loi américaine selon laquelle n’importe qui peut réclamer la possession d’une terre qui n’appartient à personne, la société californienne Lunar Embassy décide, en 1980, de s’approprier la Lune, Mars et Vénus.

L’objectif ? Jouer les agents immobiliers en vendant des parcelles de terrain. Amorcée comme une bonne blague, cette entreprise s’est révélée des plus lucratives puisque son fondateur a déjà empoché plus de 9 millions de dollars.

Le festival des petits malins

Du coup, cette initiative potache a suscité des vocations et rapidement, d'autres sociétés se sont engouffrées dans la brèche.

Une poignée d’opportunistes décident alors de s’approprier les étoiles, afin de les revendre à la pièce : moyennant une somme comprise entre 30 et 200 dollars, on obtient, selon les formules proposées, un titre de propriété, un CD ou une carte céleste indiquant dans quel coin du ciel se trouve l’acquisition.

Mieux encore, ces entreprises proposent à leurs clients de donner à "leur" étoile, le nom de leur choix. Et pourtant, légalement, seule l'Union astronomique internationale est autorisée à nommer les astres.

En savoir plus :

Partager..ou pas

Autrefois réservées aux États, l’exploration spatiale et l’exploitation des ressources hors de notre planète deviennent un sujet d’intérêt pour un nombre croissant de sociétés privées.

De l'humour à l'arnaque

Quelle est donc la valeur juridique de ces documents ? Aucune. La vieille loi américaine dénichée par la Lunar Embassy ne fait pas le poids face à un traité international. Impossible donc de protester auprès de la NASA parce qu’un véhicule d’exploration a laissé des traces de chenilles sur le bout de terrain lunaire que vous venez d’acheter.

Ou parce qu’une sonde tournera autour de votre étoile.

 

Ces titres de propriété n’ayant aucune valeur légale, ces sociétés commercialisent donc… du vent. Sont-elles pour autant hors la loi ? La question n'a pas encore été soumise à la justice américaine.

La justice chinoise, en revanche, a été la première à réagir : grâce au traité de l’espace (1967), la cour d’appel de Pékin a interdit en  2007 à la filiale chinoise de la Lunar Embassy de vendre des parcelles de Lune en Chine.

 

Le Petit Prince sur un tas d'or

Sauf que l’exploitation des ressources de la Lune n’est peut-être plus si théorique que cela.

En effet, il semblerait que notre satellite soit un eldorado… Métaux précieux, radiations solaires très puissantes, mais aussi, peut-être, une nouvelle source d'énergie miracle : l'hélium 3, un composé qui pourrait permettre des réactions de fusion nucléaire plus sûres.

Très rare sur terre, il y en aurait près d’un million de tonnes dans le sol lunaire.

Certes, pour obtenir une tonne d'hélium 3 il faudrait extraire 100 millions de tonnes de sol lunaire, mais malgré tout certains industriels s’y intéressent et rêvent de décrocher la Lune.

 

Un casse-tête spatial

Bien que l’exploration spatiale ait plus d’un demi-siècle, de nombreuses zones d’ombre juridiques demeurent...

Silence, on tourne

En 1957, Spoutnik a ouvert la voie. Aujourd’hui, près de 800 satellites sont en activité autour de la Terre.

Comment font-ils pour se répartir les parties les plus convoitées de l’espace ? L’espace étant un patrimoine commun de l’humanité, pas question de vendre ou de louer les orbites sur lesquelles gravitent les satellites !

La règle en place : premier arrivé, premier servi.

Avec un cadre tout de même : une limitation de la durée d’occupation des orbites.

Le chef d’orchestre, c’est l’Union internationale des télécommunications installée à Genève : elle détermine pour chacun une place et la bande de fréquence sur laquelle communiquer avec le satellite sans brouiller les autres transmissions.

Appelez-moi le responsable

Qui dit propriété, dit, responsabilité.

Certes, mais en cas d’accident dans l’espace, qui sera responsable ?

Par exemple, en février 2009, le satellite de télécommunication privé Iridium-33 s’est fracassé contre un vieux satellite militaire russe, générant ainsi un nuage de débris spatiaux.

Qui portera le chapeau si l’un de ces fragments vient perforer la combinaison d’un astronaute ?

Il faudra dans un premier temps prouver l’origine du débris mortel et démontrer l’existence d’une faute, ce qui est loin d’être facile.

Mais si l’on y parvient, théoriquement c’est l’État qui héberge l’entreprise fautive qui est responsable de ses actes. Les États-Unis ou la Russie sont-ils prêts à assumer l’impact d’un tel accident ?

C'est à qui cette météorite ?

Et que dire des "bouts" d’espace ramenés ou tombés sur Terre ?

Théoriquement, ils n’appartiennent à aucun État. Mais dans les faits, il en va autrement.

Par exemple, les échantillons lunaires ramenés par la mission Apollo 11 ont été déclarés bien national par la NASA. Elle est seule à pouvoir décider de les prêter ou non aux communautés scientifiques des autres pays.

Même flou juridique pour les météorites tombées sur terre. Leur régime de propriété dépend des lois nationales.

En France, la loi indique à la fois qu’un trésor appartient à celui qui le trouve et qu’un objet d’intérêt scientifique ou historique doit être déclaré à la mairie.

Les chasseurs de météorites ne sont donc pas à l’abri d’une "réquisition" à des fins d’étude scientifiques. Râlant quand on a passé des heures à chercher des cailloux extraterrestres !

E.T. téléphone avocat !

Imaginez maintenant que l’on découvre - enfin ! - une vie extraterrestre…

L’espace étant un patrimoine commun de l’humanité, cette forme de vie sera-t-elle aussi notre bien ?

La question sera d’autant plus gênante si cette vie prend la forme d’un bonhomme vert, autrement dit, d’un être "intelligent".

E.T n’a-t-il pas lui-même souffert d’être utilisé comme une "chose" dont chacun se disputait la propriété ? Imaginez maintenant qu’on vive dans le meilleur des mondes et qu’un respect s’instaure naturellement entre extraterrestres et humains.

 

Comment alors partager équitablement l’espace avec eux, alors qu’on n'a pas su le partager sur terre ?

Un véritable casse-tête éthique et juridique, qu’il vaudrait mieux résoudre avant que les missions ne décollent vers la planète rouge pour y traquer… des traces de vie.