15 Septembre 2010

Des satellites au secours des victimes de catastrophes

Lorsque survient une catastrophe naturelle ou un accident technologique, les agences spatiales déclenchent la Charte Espace et catastrophes majeures et mettent leurs satellites au service des sauveteurs.

En quoi consiste la Charte

Créée en 2000 par le CNES et l’ESA, la Charte « Espace et Catastrophes Majeures » fournit régulièrement et gratuitement des images satellites aux pays victimes de catastrophes naturelles pour les aider à organiser les secours. Les dix agences spatiales signataires de la charte disposent d’un réseau de 25 satellites dont les images permettent d’obtenir des cartes récentes des zones sinistrées.

Le but : contribuer aux opérations de secours

En janvier 2010, Haïti se met à trembler pendant une interminable minute. Les secousses du tremblement de terre sont si violentes que la capitale est presque rayée de la carte. Le bilan est catastrophique : plus de 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de personnes à la rue.

Rapidement, les secours puis l’aide internationale affluent sur place. Mais le paysage est bouleversé, les routes sont coupées, et les réfugiés - qui ont besoin d’assistance immédiate - sont dispersés sur des kilomètres… Quelques heures après le séisme, et devant l’ampleur des dégâts, la Sécurité Civile française déclenche la Charte "Espace et Catastrophes Majeures".

Sa mission : programmer en urgence des satellites pour "photographier" la zone sinistrée et contribuer à l’organisation des opérations de secours.

L’outil : des cartes obtenues en moins de 24h

Les données recueillies par les satellites sont difficiles à décrypter. Des instituts spécialisés dans la cartographie rapide (tels que le SERTIT à Strasbourg) les traitent pour en faire des cartes exploitables pour des non-spécialistes (légendes, explications, etc.).

Elles seront transmises organismes utilisateurs de la Charte : Sécurité Civile ou organismes spécialisés des Nations Unies.

Les premières cartes sur Haïti ont permis à la fois :

  • d’identifier les centaines d'obstacles susceptibles de gêner les secours (effondrements d’immeubles, glissements de terrain, routes coupées...),
  • et de trouver de nouvelles voies d’accès.

 

D’autres cartes ont rapidement permis de recenser les points d’eau, d’identifier les camps de réfugiés, puis de suivre l’évolution de la situation. Grâce à ces images, les secours ont tout de suite pris conscience de l’ampleur du désastre et ont pu estimer le nombre de victimes, ainsi que les besoins en vivres, eau, médicaments et médecins.

Le coût : nada pour les victimes et les sauveteurs

D’où viennent les images ? Des agences spatiales signataires ou des entreprises privées partenaires.

Ces dernières mobilisent en urgence leurs satellites et vendent leurs images aux agences spatiales qui financent également les équipes de coordination et d'interprétation d'images.

Une addition d’environ  3 à 4 millions d'euros pour l’ensemble des agences spatiales participantes. Pour les utilisateurs de ces cartes, à savoir, les secours sur le terrain, la mise à disposition des images est totalement gratuite. Mais alors qu’en tirent les agences ?

La satisfaction d'avoir contribué à l’action des sauveteurs et des acteurs de l’humanitaire ainsi que celle de voir rentabilisée l’utilisation des données satellites.

Les moyens : 25 satellites

Les dix agences spatiales qui ont adhéré à la Charte disposent d’environ 25 satellites, dont deux pour la France, Spot 4 et 5. Les images qu’elles fournissent sont complémentaires.

Photographiées depuis le ciel, les images optiques sont faciles à interpréter que les images radar, le rendu est proche de Google Earth : on peut visualiser des immeubles écroulés, des routes coupées ou des camps de réfugiés.

Les images thermiques permettent elles de distinguer les zones chaudes des zones froides au niveau du sol. Elles sont très utiles pour suivre le déplacement des feux ou bien les coulées de lave aux abords d’un volcan.

Pour les inondations, on privilégie parfois les images radar, car ce type d’ondes passe facilement à travers les nuages et permet de bien mettre en évidence la localisation et l’évolution des surfaces inondées, en particulier dans les zones de plaines.


A la fin du mois de juillet, des pluies diluviennes s'abattent sur le Pakistan, provoquant de très graves inondations. Rapidement, les satellites Spot sont mobilisés pour mesurer l’ampleur des dégâts. Extrait du Journal de l'espace, septembre 2010 © CNES

La Charte, comment ça marche ?

Des équipes disponibles 24h/24 et 7 jours/7 peuvent, sur un simple appel d’un utilisateur autorisé, déclencher en quelques heures la prise de vue satellite, mais uniquement en cas de catastrophe majeure.

Qui est aux commandes ?

Déclencher la Charte est une mission digne d’un agent secret.

Actuellement seuls une quarantaine d’"utilisateurs autorisés" (services de protection civile ou organisations humanitaires liées à l’ONU) connaissent les conditions d’activation de la Charte sur le bout des doigts : un simple appel téléphonique déclenche l’opération.

Un ingénieur a ensuite trois heures pour programmer les satellites qu’il juge les plus pertinents d’utiliser.

Tandis que ceux-ci commencent leurs prises de vue, les agences spatiales récupèrent dans leurs archives les cartes de la zone avant le désastre.

Elles permettront, par comparaison, de repérer plus facilement un glissement de terrain ou le changement de hauteur d’un cours d’eau. 

 

Quand la déclencher ?

Chargés de l’intervention à la suite d’une catastrophe, les utilisateurs autorisés ne se mobilisent que pour des catastrophes majeures : inondations, tornades, tremblements de terre, tsunamis, éruptions volcaniques mais aussi désastres d’origine technologique…

Citons la récente destruction de la plate-forme pétrolière de BP dans le golfe du Mexique aux États-Unis ou encore, tout récemment les inondations au Pakistan

En revanche, la Charte n’est pas déclenchée en cas de sécheresse persistante, de conflit armé, lorsqu'une catastrophe n’occasionne ni victime ni déplacement de population, ou qu'elle est de "petite" ampleur.

Et les agences spatiales se réservent le droit de rejeter une requête, notamment lorsqu’elles ont la conviction que les images satellites n’apporteront rien, comme ce fut par exemple, le cas à la suite d’abondantes chutes de neige créant un paysage homogène sur une vaste étendue.

 

Qui en profite ?

N’importe quel pays peut bénéficier de l’activation de la Charte. 

Il peut arriver que plusieurs utilisateurs autorisés, estimant chacun que les conditions du désastre justifient l’activation de la Charte, déclenchent l’alerte de leur propre initiative, en même temps.

À ce jour plus de 90 pays ont bénéficié des images des agences spatiales grâce à la Charte. Toutefois, il arrive que certains décident de ne pas la déclencher, soit pour des raisons politiques, soit parce qu’ils estiment être capables de se débrouiller seuls avec leurs propres satellites.

Ce fut le cas de l’Italie, lors du tremblement de terre de l’Aquila en avril 2009.

Le saviez-vous ?

L’utilisation pacifique de l’espace est un droit reconnu par les Nations Unies, en théorie donc un Etat ne peut s’opposer à l’acquisition d’images de son territoire.

Pendant combien de temps ?

La mobilisation des satellites pour la Charte dépend de celles des équipes de protection civile et des secours.

Généralement, elles restent entre 8 et 15 jours sur place, le temps de porter une assistance immédiate aux victimes. Ensuite, assurer un suivi de la réparation des dégâts et de la reconstruction n’est plus du ressort de la Charte.

Toutefois, pour les cas exceptionnels tels que les inondations du Pakistan et ses centaines de milliers de déplacés, ou l’explosion de la plate-forme pétrolière dans le golfe du Mexique en avril 2010 et ses millions de litres de pétrole déversés dans les eaux chaque jour, il peut arriver que l’action de la Charte soit prolongée durant 2 à 3 mois.

En savoir plus :

  • Exemples d'utilisation d'une constellation de satellites au service de la cartographie d'urgence des zones sinistrées (cas de l'éruption volcanique et séisme en Indonésie en 2006), sur le site de Spot Image

Histoire de la Charte Espace et catastrophes majeures

La Charte, qui rallie un nombre croissant de membres, est activée presque une fois par semaine, et a facilité le travail des sauveteurs dans plus de 90 pays.

L'ESA et le CNES : les deux parents de la Charte

En juillet 1999, se tient la Conférence des Nations Unies de Vienne durant laquelle les États cherchent à accorder leurs violons sur une utilisation pacifique de l’espace.

C’est aussi la naissance de la Charte "Espace et Catastrophes Majeures". L’Agence spatiale européenne (ESA) et le CNES sont à l’initiative de sa mise en place. Quelques mois plus tard, le Canada les rejoint.

La Charte devient opérationnelle le 1er novembre 2000.

Aujourd'hui dix agences spatiales sont engagées dans la Charte. Bientôt, elles seront renforcées par l’arrivée de nouveaux membres : les agences spatiales de Russie, de la Corée du Sud, du Brésil et de l'Allemagne. C'est la première fois que des agences spatiales s’engagent dans l’humanitaire.

Déjà 10 ans : bilan

En dix ans, la charte a été déclenchée près de 280 fois de par le monde, soit une moyenne de 40 à 45 déclenchements par an.

Presque deux tiers des cas sont des accidents météorologiques : inondations, tornades, cyclones...

Les tremblements de terre, éruptions volcaniques, tsunamis et autres catastrophes provoquées par des mouvements de la croute terrestre viennent en deuxième position.

Les incendies de forêt de grande ampleur ne représentent, eux que 8 à 10 % des activations de la charte.

Enfin, les accidents d’origine humaine (chimiques, fuites de pétrole,…) ne comptent que pour 7 à 8 % des cas.

Cap sur les catastrophes de moins grande ampleur

La charte et son cortège de carte, c’est pratique pour les sauveteurs. La Charte n’intervient que pour des catastrophes considérées comme majeures par les services de sécurité civile.

Dans le cadre de l’initiative européenne GMES, le projet SAFER a été lancé pour renforcer les capacités européennes d’intervention en cas de catastrophes lorsque les intérêts européens sont en cause.

Il comporte un volet dédié aux aléas et à la gestion des risques fonctionnant sur un mode similaire à celui de la charte. .

Il est financé non plus par les agences spatiales elles-mêmes, mais par la Commission européenne.