17 Mai 2017

Un océan d'avance

Désormais on peut prédire les températures, vitesse et direction des courants ! Alors, quel océan pour demain ?

Pourquoi prévoir l'océan ?

Où irez-vous surfer ce week-end ? À Lacanau ou à Biarritz ? Pour le savoir, rien de mieux qu'un petit tour sur votre Smartphone. Il existe une application qui donne les hauteurs des vagues en temps réel. Comme la météo, ''l’océano'' s’est mise aux prévisions. Les spécialistes parlent d’océanographie opérationnelle.

Pour suivre les pollutions

Suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon, des particules radioactives se sont retrouvées en mer. Où ont-elles été emportées ? Pour le savoir, les scientifiques de Mercator Océan ont utilisé NEMO, un super logiciel qui simule le comportement de l’océan, et dans lequel ils injectent toutes les observations dont ils disposent, comme les données satellites. Conclusion ? D’après NEMO, les particules radioactives portées par les courants au large de la centrale nucléaire , un des courants les plus forts de la planète, comparable au Gulf Stream !

Economisons le carburant

Le carburant coûte de plus en plus cher. Cela devrait motiver les pétroliers et les cargos à suivre les courants les plus favorables lors de leurs traversées. Sur certains trajets, leur consommation de fioul pourrait ainsi être réduite jusqu'à 10%. À la clef : des gains financiers et moins de gaz à effet de serre dégagés. Pour suivre ces courants ? "Suivez la carte océano, Mr. le capitaine!"

Aux antipodes des cargos … les rameurs

Eux aussi se servent de l'océanographie opérationnelle, afin de les aider à choisir la meilleure trajectoire possible. Lors de leur traversée du Pacifique, Maud Fontenoy en 2005 et Serge Jandaud en 2011 ont reçu, via leur téléphone satellite, des cartes journalières des courants.

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Maud Fontenoy pendant sa traversée en rameur. Crédits : © Maud Fontenoy.



Infographie illustrant une prévision de courant au large de Fukushima. La zone est traversée par le courant de Kuroshio (trainée blanche), le second plus grand courant marin au monde après le Gulf Stream. Crédits : © Mercator Océan.


Pour mieux gérer les stocks de poissons

Les poissons ont leurs préférences pour leurs eaux de baignade : température, courant, salinité... Par exemple, les espadons adorent être à la limite de deux masses d'eau, l'une généralement plus chaude que l'autre. Prévoir et localiser les courants, les zones d’eaux chaudes ou froides, très salées ou moins salées, sont des informations précieuses pour mieux gérer l'activité de la pêche, pour établir des quotas adaptés et ainsi aider les pécheurs à suivre les réglementations de façon efficace et sûre. Au Vietnam par exemple, l'utilisation de ces informations va permettre au gouvernement d'accompagner les pêcheurs vers une pêche plus au large. En effet, les poissons sont la source de protéine d'une grande partie de la population, mais ils se sont raréfiés près des côtes.



Bateau de pêche surveillé par CLS grâce à des balises Argos et des satellites. Crédits : © CLS.


 

Pour mieux prédire les climats de la Terre

Les océans stockent, transportent et échangent avec l'atmosphère d'énormes quantités de chaleur. Ils régulent ainsi en partie les climats de notre planète. Le phénomène El Niño de 1997 en est un exemple. El Niño est une accumulation saisonnière d’eau chaude au large du Pérou autour de Noël - d'où son nom. En 1997, cette anomalie est devenue incroyablement étendue. La chaleur de l'eau s'est transmise aux masses d'air de l'atmosphère et s'est propagée d'un bout à l'autre de la planète. Résultat : tandis que le Kenya et la Somalie étaient frappés d'inondations, l'Indonésie subissait sécheresses et incendies. Connaître au jour le jour les humeurs des courants qui agitent les océans, c’est garantir une meilleure prévision des climats sur les continents !


Quand El Niño se prépare par CNES

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Les conséquences climatiques du phénomène El Nino en 1997. Crédits : © CNES/D.Ducros.

L'espace, observatoire des océans

Sans les satellites, on n'en saurait pas tant sur les océans. Capables de survoler l'immensité des mers en quelques jours et de refaire inlassablement le même trajet, ils ont révolutionné la connaissance de notre planète bleue. Mais qu'est-il possible de voir de là-haut ?

Des bains chauds ou froids

La température de surface a été la première mesure des océans prise par des satellites. Elle est aujourd'hui relevée de manière routinière. Il suffit de prendre des photos : clic, clac… sur le canal infrarouge ! Car, tout comme la végétation, les sols ou les corps, les océans émettent naturellement un rayonnement infrarouge qui dépend de leur température. Pour "photographier" ce rayonnement, les satellites utilisent le même principe que les caméras à vision nocturne qui permettent de voir les objets les plus chauds dans le noir le plus complet. Grâce à des mesures régulières, on peut suivre le réchauffement de la Méditerranée en été, les zones où l'eau froide remonte des profondeurs, et même le courant El Niño ...

Bosses et creux des océans

Vous imaginez que la surface des océans est plane, avec pour seule ondulation celle des vagues ? Faux, la hauteur de la mer varie en fonction du relief sous-marin, des courants, de la température, des marées... Là où il y a une fosse sous-marine, la mer est plus basse. Là où il y a un courant chaud, le niveau de la mer est plus haut. En 2011, les satellites Jason-1 et Jason-2 (NASA/CNES) ainsi qu’Envisat (ESA) mesurent ce relief grâce à des radars embarqués, avec une précision centimétrique. Ils envoient des ondes vers la mer, sur un disque d'environ 8 km de rayon, et les réceptionnent après réflexion sur la surface de l’eau. Le temps mis par l'onde pour faire l'aller-retour permet de déduire la distance entre le satellite et la surface. On a pu montrer que le niveau moyen des océans avait augmenté de 6 cm depuis 1992 : époustouflant lorsqu’on sait que Jason-1 et Jason-2 évoluent à 1300 km d'altitude !

Depuis son orbite polaire à 800 km au-dessus de la surface de la Terre, MetOp fournit une mine d'informations précises et détaillées aux météorologues et scientifiques du monde entier. Crédits : © ESA - AOES Medialab.

Grâce aux satellites altimétriques, les scientifiques ont pu calculé que le niveau moyen des océans avait augmenté de 6 cm depuis 1992 ! Crédits : © NASA/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio.


 

Le sel des océans

Depuis sa mise en orbite en 2009, le satellite européen SMOS relève un vrai défi : mesurer la concentration en sel à la surface des océans. L’objectif est notamment de mieux comprendre la circulation des eaux de l'océan, qui dépend de la salinité. Mais comment mesurer cette donnée depuis l'espace ? En enregistrant le rayonnement des ondes électromagnétiques émises naturellement par les océans car il varie avec la salinité. De l'énergie émise par ces ondes, on peut donc déduire la quantité de sel. Et cela marche ! Les scientifiques ont réussi à détecter des variations de concentration de l'ordre de 0,4 g/kg, dans des régions tropicales où la salinité varie de 32 à 37 g/kg. Mais au voisinage des côtes peuplées, les premières images ont révélé une intense pollution électromagnétique qui a rendu les interprétations impossibles. Cette pollution provient de radars militaires, de relais de communication et d’émetteurs télé, dont les nuisances peuvent s'étendre jusqu'en mer !

Couleur et phytoplancton

L’eau des océans est bleu, mais on y trouve aussi du vert : celui de plus de 20 000 espèces de micro-algues, bactéries et compagnies... Les petits organismes qui composent le phytoplancton produisent la moitié de l'oxygène que nous respirons et séquestrent une partie du carbone que nous rejetons. Ils sont en effet capables de fabriquer leur propre matière à partir de CO2, mais aussi de sels minéraux et de l’énergie du soleil. Pour cela, leurs molécules de chlorophylle absorbent les rayons solaires correspondant aux couleurs bleu et rouge. Sur les photos prises par les satellites, on peut mesurer les parts de rouge et de bleu qui ont disparues dans l’océan. Ces parts manquantes sont autant de phytoplancton présent !

Les glaces des océans

Mesurer l’épaisseur de la glace aux pôles Nord et Sud avec une précision de 2 à 5 cm : c’est le dernier exploit des satellites au service de l'océanographie. Une donnée essentielle pour comprendre l'impact du réchauffement climatique sur les calottes polaires et les banquises. Le satellite européen CryoSat-2 est tout particulièrement destiné à calculer ces volumes d’eau glacée. Il a été lancé en avril 2010. En 2005, son prédécesseur, CryoSat-1, s'était désintégré lors de son lancement, à cause d’un dysfonctionnement de la fusée.

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Vidéos sur les applications du satellite SMOS



Grâce à l’imagerie radar, SMOS mesure l’humidité des sols et la salinité des océans, deux paramètres climatologiques essentiels. Crédits : © IFREMER/CESBIO.

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Données environnementales acquises par satellite. On observe ici un banc de micro-algues sur le bord du littoral. Crédits : © CNES.

Satellites + robots = plus d'infos pour NEMO !

Si les satellites ont révolutionné nos connaissances sur les océans, ils ont aussi leurs limites : impossible pour eux de connaître la température à 10 cm de profondeur, et a fortiori à 100 ou 1 000 m ! Pour recueillir ces informations, de petits robots autonomes ont été largués dans les océans.

Les "yo-yos" des océans

Plus de 3 300 petits robots autonomes, distants en moyenne de 300 km, se baladent verticalement dans les océans. Neuf jours sur dix, ils se reposent à la position ''parking'', à 1 000 m de profondeur. Le 10e jour, ils plongent jusqu'à 2 000 m, puis remontent à la surface où ils envoient vers des satellites les mesures de température et salinité qu'ils ont enregistrées lors de leur ascension. De quoi compléter les données satellitaires qui concernent uniquement la surface des océans. Sachant que la durée de vie de ces robots ne dépasse pas 5 ans, une armée de nouveaux flotteurs est déjà en cours de montage. Dotés de capteurs qui mesureront les niveaux d'oxygène, de chlorophylle, de nitrate ou de carbone, ils seront capables de suivre l'évolution des écosystèmes marins. Ils pourront également descendre jusqu'à 3 000m de profondeur et opérer sous la glace.

Plongée dans la quatrième dimension

Grâce à leur association avec les satellites, les robots autonomes peuvent envoyer leurs données en temps quasi-réel à un super logiciel répondant au nom de NEMO. Créé il y a 30 ans par un laboratoire français et seul modèle européen représentant tous les océans, NEMO est utilisé par la plupart des systèmes de prévisions "océano". Les océans y sont découpés en petites boîtes de 10 km de côté : plus de 13 millions sont nécessaires pour représenter tous les océans, depuis leur fond jusqu'à leur surface. Des équations permettent de décrire les mouvements des eaux, les transferts de chaleur (température) et de matière (sel) d'une case à l'autre, d'un jour à l'autre. Plus de 500 000 données issues des satellites et des robots autonomes y sont intégrées quotidiennement et automatiquement. De bonnes bases pour les prévisions !

Un métier en devenir : prévisionniste-océanographe

''Demain, les forts coups de vent sur la façade Atlantique vont provoquer des remontés d’eaux froides. La température moyenne de surface de l’océan dans le golfe de Gascogne baissera de 2°C. À signaler : le courant du Portugal diminuera d’intensité dans les jours à venir…".

Allons-nous demain écouter des bulletins ''océano'' ? Ce qui est sûr c'est qu'un nouveau métier se dessine : prévisionniste-océanographe. Sa mission ? L’interprétation des données fournies par le modèle NEMO. Pour assurer cette activité de synthèse, mieux vaut se spécialiser par zone océanique. Pour vous, ce sera Méditerranée ou Pacifique ? Véronique a choisi l'Atlantique, côté nord-ouest. Tous les mercredis, elle envoie aux sauveteurs en mer canadiens le détail précis des prévisions de courants. Ces informations peuvent les aider à localiser des bateaux ou des objets flottants en mer.

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Brise-glaces des gardes-côtes canadiens utilisant les bulletins Mercator pour retrouver les bateaux en dérive. Crédits : © Garde côtière canadienne.

Schémas du transfert de données des Flotteurs Profileurs.



Schéma océanographie opérationnelle. Crédits : Mercator.


L'océano en direct !

Toutes les prévisions ''océano'' peuvent être consultées gratuitement et librement. Tous les mercredis, le bulletin Mercator Océan fournit une prévision à 15 jours des courants, des températures et de la salinité, en surface comme en profondeur et sur l’ensemble du globe. On y trouve même des prévisions sur la couverture de glace au pôle Nord et au pôle Sud ! Le site Previmer se concentre lui sur les eaux côtières françaises. Lycéens, afin de mieux comprendre les courants marins à l’œuvre dans les océans, vous pouvez aussi participer au projet ArgOcéan du CNES. De véritables données océanographiques fournies par les satellites altimétriques Jason-1 et Jason-2, ainsi que les données de bouées en mer, sont mises à votre disposition. Sortez les voiles !

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Balise Argonautica. Crédits : CNES.