6 Février 2012

La télé-épidémiologie, les maladies vues du ciel

La télé-épidémiologie est l'étude des relations climat-environnement-santé assistée par l’imagerie satellite. Elle fourmille de projets, notamment en Afrique de l’Ouest.

Lutter contre les épidémies grâce à l'espace

Faire appel aux satellites pour anticiper l’émergence de maladies infectieuses : cette nouvelle approche conceptuelle et encore balbutiante a été mise au point par le CNES il y a une dizaine d’années.

La télé-épidemiologie

C’est une nouvelle approche encore peu connue du grand public.

Elle vise à mettre les satellites au service de la santé, en croisant des données récoltées sur le terrain - des informations médicales, vétérinaires, entomologiques, socio-économiques… - avec des données spatiales recueillies par une batterie d’instruments gravitant autour de la Terre.

L’objectif : établir des modèles de prédiction des risques d’épidémies. La télé-épidémiologie traque les infections qui font des ravages aux quatre coins de la planète.

Ces maladies ont pour point commun d’être provoquées par des agents pathogènes (virus, bactérie, parasite, champignon) transmis par l’eau, l’air ou par un "vecteur", tel un moustique, un rongeur, etc.

 

Satellites...ou boules de cristal ?

Situés à plusieurs centaines de kilomètres d’altitude, les satellites sont incapables de suivre les déplacements de moustiques ou de bactéries !

Les informations délivrées par les images satellitaires ne portent donc pas directement sur les pathogènes responsables des maladies (virus, bactérie, parasites, vecteurs, …) mais sur leur environnement et les habitats favorables à leur développement et à leur prolifération.

Ainsi, Landsat, Spot, Ikonos, QuickBird surveillent l’évolution de la végétation, de l’urbain ou des surfaces en eau ; Météosat mesure les vents et les masses nuageuses ; AVHRR (Advanced Very High Resolution Radiometer), MODIS-Terra ou Aqua permettent d’accéder à la température de surface ; TRMM (Tropical Ranifall Measuring Mission) fournit des données sur la pluviométrie ; Jason et Envisat révèlent la température des océans, la hauteur des vagues et des lacs... 

Une mise en musique en trois temps

Pour identifier les mécanismes en jeu dans l’émergence de la maladie infectieuse, des spécialistes sont envoyés sur le terrain : des entomologistes, des médecins, des vétérinaires, des sociologues, spécialistes du climat ou de l’environnement... Le CNES a en effet élaboré une méthode en trois temps pour faire de la télé-épidémiologie :

  • comprendre, grâce à des mesures in situ, les mécanismes d’émergence et de propagation de la maladie et identifier les facteurs environnementaux et climatiques jouant un rôle ;
  • identifier comment les satellites peuvent se rendre utiles dans la détection de ces paramètres environnementaux et climatiques ;
  • modéliser : toutes les données, terrestres et spatiales, sont mises en musique pour produire des cartes des zones à risques.
    Attention, il ne faut pas les confondre avec des cartes de l’épidémie : n’y sont indiquées que les probabilités, plus ou moins fortes, de présence du vecteur de la maladie. On parle de risque vectoriel ou de risque environnemental.

 

Des cartes pour agir sur le terrain

La télé-épidémiologie permet de faire de la prévention.

À partir des cartes, on peut cibler les endroits où les vaccinations sont prioritaires, où la démoustication s’impose, ou encore les zones où les hommes et leurs troupeaux ne devraient pas s’arrêter.

Par exemple, avant d’installer ses cantonnements, l’armée française souhaite pouvoir identifier les zones les moins risquées en matière de maladies infectieuses, notamment pour le paludisme (première infection parasitaire dans le monde). Ainsi à Dakar au Sénégal, l'armée française, au travers de son Institut de Recherche Biomédicale des Armées (IRBA) a fait appel aux services du CNES pour repérer les quartiers les moins risqués en termes de paludisme.

En effet, à certaines périodes de l'année les moustiques, vecteurs de la maladie, sont si nombreux dans la ville qu’une personne peut recevoir jusqu’à 250 piqûres en une seule nuit !

Afin de ne pas installer les soldats précisément là où ils pullulent, une cartographie des zones favorables à leur développement, c’est-à-dire celles disposant de sources d’eau temporaires et de petites tailles (des puits, des rigoles…) a été réalisée.

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La fièvre de la vallée du Rift, un cas d’école

Récit du premier cas de mise en pratique de la télé-épidémiologie. Nous sommes au Sénégal, où sévit une maladie appelée la fièvre de la vallée du Rift.

Une saison "piquante"

Chaque année, au Sénégal, c’est l’invasion : l'arrivée de la mousson, qui dure de juin à octobre, signe le début de la saison des moustiques, tant dans les villes que dans les campagnes.

Or l’insecte transporte avec lui nombre de maladies, dont la fièvre de la vallée du Rift (FVR). Dans les troupeaux de bétails, cette zoonose virale - maladie circulant chez les animaux mais pouvant être transmise à l'homme - provoque des avortements, voire même la mort, et entraîne par conséquent de lourdes pertes économiques.

Sans traitement à ce jour, elle peut aussi être transmise à l'homme, avec un taux de mortalité de 5 %.

Pour anticiper la propagation des moustiques et enrayer l’épidémie, le CNES, à la demande de la direction des services vétérinaires du Sénégal, a lancé en 2003 sa toute première campagne de télé-épidémiologie contre la FVR. 

Un duo de moustiques ravageur

Les entomologistes ont d’abord mené l’enquête sur le terrain, dans la région du Ferlo. Ils ont capturé des milliers de moustiques, les ont badigeonnés de couleurs, les ont relâchés puis capturés de nouveau plus loin.

Ils ont ainsi découvert que, dans cette région, deux espèces de moustiques, Aedes vexans et Culex poicilipes, sont les principaux vecteurs de la fièvre de la vallée du Rift.

Toutes deux se reproduisent près des mares temporaires et ne s’en éloignent pas de plus de 500 m. Mais quand l’une pond au bord de l’eau et pique en début de saison des pluies, l’autre préfère attendre que la mousson gonfle les mares pour pondre ses œufs à la surface des étendues d’eau et piquer dans la foulée.

Conclusion : pour repérer les zones de présence potentielle des moustiques, il faut d’abord détecter les mares, mais aussi être en mesure de suivre leur dynamique.

 

Adapter les données spatiales

Que mesure exactement un satellite de télédétection qui observe la Terre ? Les rayonnements réfléchis par les objets au sol.

C’est en combinant les différentes longueurs d’onde captées qu’il devient ensuite possible de caractériser cet objet plus précisément.

À l’aide de formules mathématiques, on crée des "indices" pour repérer les surfaces liquides, la turbidité, la végétation, mais aussi l’évolution de ces surfaces entre jours de pluies et périodes sèches.

Ces informations sont ensuite intégrées à une modélisation. Ainsi, grâce aux satellites, 1 350 mares sont sous surveillance dans la région du Ferlo, au nord-est du Sénégal !

 

Faire des prédictions

Les observations satellites, grâce à la modélisation, permettent de produire des cartes prédictives qui signalent les zones où une forte concentration de moustiques est probable, autrement dit les zones à fort risque de contamination.

Toutefois ce système ne fonctionne que si aucun paramètre lié à l’émergence d’une maladie infectieuse n’a été omis.

Afin d’en être sûr, des années d’observation et de vérification sont le plus souvent nécessaires : il faut au moins sept à huit saisons des pluies pour valider le processus !

Mais parfois la méthode porte ses fruits rapidement : à la suite de fortes précipitations en juillet 2003, la télé-épidémiologie mise en place au Sénégal pour la fièvre de la vallée du Rift a détecté un risque de présence des moustiques Aedes vexans et Culex poicilipes, vecteurs principaux de la maladie dans cette région.

Les autorités de santé, comme la Direction des Services Vétérinaires du Sénégal, ont ainsi pris conscience de l’utilité de ce type d’outils pour préparer les actions de lutte contre cette maladie.

En savoir plus :

 

 

Moucherons et bactéries en ligne de mire

Après leur première expérience en télé-épidémiologie, les satellites traquent quantité d’autres maladies propagées par des vecteurs, par l’eau ou par l’air.

La dengue du moustique argentin

Les moustiques ne sont pas seulement responsables de la fièvre de la vallée du Rift, ils transmettent quantité d’autres maladies, telle la dengue.

Cette "grippe tropicale", quasiment éradiquée du continent américain il y a un demi-siècle, sévit à nouveau depuis les années 1980.

L’Agence spatiale argentine (Conae) a donc lancé, en collaboration avec le CNES, une étude de télé-épidémiologie pour prédire dans le nord du pays les lieux de multiplication du vecteur Aedes aegypti et obtenir des cartes précises des foyers d’infections.

Le moustique se reproduit dans de minuscules surfaces liquides, des vases ou des coupelles inobservables par satellites ! Néanmoins cette étude en cours a déjà montré que les zones à risques se situaient près de jardins peu entretenus.

Langues bleues en Corse

La fièvre catarrhale ovine, ou maladie de la langue bleue, était considérée comme une maladie exotique pour l’Europe, jusqu’à ce qu’elle s’installe durablement sur le vieux continent.

Présente en Corse depuis 2000, elle provoque chez les moutons de multiples lésions pouvant entraîner la mort.

Elle se transmet par l’intermédiaire d’un vecteur de seulement un à deux millimètres de long, le moucheron Culicoides imicola.

Vivant à proximité des troupeaux, il suce le sang du bétail ; mais on ne sait pas pourquoi certains élevages sont touchés et d’autres non. En étudiant l’environnement de 80 bergeries infectées ou saines, une série de critères (élevages mixtes, zones arborées…) a été mise en évidence à l’aide du satellite Spot, puis validée sur 134 fermes de la région d’Ajaccio !

 

 

Le mollusque chinois et sa bilharziose

Parfois, un petit bain dans un marigot et c’est la bilharziose garantie !

Cette infection, responsable d'environ 800 000 décès par an, se transmet par un parasite qui se glisse à travers les plaies ou les voies génitales des baigneurs.

En attendant, il est hébergé par des gastéropodes aquatiques vivant dans des végétations d’eaux douces, le plus souvent stagnantes.

Dans la région du lac Poyang en Chine, une étude pilote financée par le CNES a mis en évidence deux périodes de transmission : l’une au printemps lors de la montée des eaux, l’autre à l’automne lors de la vidange du lac.

La présence de deux espèces végétales, le carex et le polygonum, semble aussi favoriser le développement du mollusque. Une modélisation, prenant en compte ces facteurs, est désormais en cours.

Coquillages et diarrhée en Méditerranée

C’est Noël. Sur la table, huîtres et coquillages sont à l’honneur... Mais attention ! Ils cachent peut-être des bactéries du genre vibrio, responsables de problèmes gastriques ou vecteurs du choléra, une maladie diarrhéique aiguë dont on peut mourir en quelques heures en l’absence de traitement !

Pour ne pas gâcher la fête, une étude tente de débusquer Vibrio cholerae avant qu’il n’arrive dans nos assiettes. La bactérie dort en effet dans certaines eaux de la planète, et se réveille lorsque la température augmente et que le plancton se développe.

Grâce aux images des satellites dédiés à la couleur de l’eau, il est possible de déduire la quantité de plancton, et donc les risques d’épidémies de choléra en Méditerranée ou dans le golfe du Bengale !

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