13 Juin 2012

On vous voit, on vous entend...

Si l’agent 007 travaillait de nos jours, il disposerait d’une cohorte d’outils que Q, le "Geotrouvetout" de la division recherche et développement des services secrets britanniques, n’aurait jamais osé imaginer. Le point sur ces nouvelles techniques d’espionnage… tombées du ciel.

Espionner depuis l'espace

007 peut dormir tranquille car depuis les années soixante des cohortes de satellites espions se chargent de surveiller le monde à sa place.

Le réseau des services secrets

Le service d’espionnage de 007, le Secret Intelligence Service, apparaît en 1909. Donc bien après son équivalent français, le Deuxième Bureau, l’ancêtre de l’actuelle DGSE, qui lui est fondé en 1871.

Les agences américaines, les plus célèbres de toutes, le FBI (Federal Bureau of Investigation), la CIA (Central Intelligence Agency) et la NSA (National Security Agency), se sont respectivement mises en place en 1908, 1947 et 1952.

Si le FBI s’occupe du renseignement et des affaires internes, la CIA récolte et analyse des informations sur les gouvernements, entreprises et individus du monde entier. La NSA fait de même mais en se focalisant sur les télécommunications (téléphone, web).

Au fil des ans, ces agences, et les divisions de recherche qu’elles possèdent, ont profondément modifié les techniques d’espionnage : elles ont donné des yeux et des oreilles à l’espace et transformé notre quotidien.

 

Dans l'oeil des satellites

Nom de code : CORONA.
En 1960, en pleine guerre froide, 3 ans après le lancement de Spoutnik par les Russes, la CIA met en orbite quatre satellites espions, les premiers d’une longue série.

Depuis, les États-Unis "auraient" envoyé 600 satellites espions… contre 2 400 pour les Russes !

Certains d’entre eux observent le sol dans le domaine du visible, d’autres dans celui des hyperfréquences (radars) ou encore de l’infrarouge (IR). La vision "radar" permet de voir, de jour comme de nuit, y compris à travers certains couverts perméables aux ondes.

Par exemple, elle permet l'observation des structures métalliques et donc de décortiquer l’armature d’un bâtiment ; ou bien le repérage en pleine mer d'un navire de guerre ou encore d'un pétrolier en train de dégazer (sous les rayons du radar, le pétrole et l’eau peuvent être différenciés).

La vision IR permet quant à elle de détecter des variations de température, comme la chaleur émise par le moteur d’un véhicule, d’un char ou d’un avion.

Voir loin sans bouger

En 2012, James Bond pourrait-il, grâce aux satellites, regarder Dr. No agir… en restant dans son canapé ?

Non, en tout cas pas grâce aux seuls satellites espions. En effet, ceux qui possèdent la meilleure résolution d’image sont défilants : ils orbitent à 500-800 km d’altitude et passent, à heure fixe, au-dessus des mêmes points.

De fait, ils ne peuvent fixer plus de quelques minutes un endroit précis du globe.

Pour filmer en continu les activités du Dr. No, il faudrait des satellites géostationnaires. Or, cette caractéristique ne s’acquiert qu’au prix d’une altitude élevée : 35 786 km.

Une distance trop grande pour avoir une bonne résolution au sol. Pour pallier ce problème, les services d’espionnage complètent les réseaux satellitaires avec de l’imagerie aérienne (drone), des caméras de surveillance ou l’envoi d’un 007 des temps modernes.

Ecouter dans le vide

Si les murs ont des oreilles, l’espace est la pire des murailles : chaque jour, plus de 50 % des communications (téléphone-portable-web) privées et publiques passées dans le monde seraient interceptées par des programmes dédiés comme "Echelon" pour les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada ou encore l’Australie, "Infopol" pour l’Europe ou "Frenchelon" pour la France.

Géré par le service d’espionnage NSA, le réseau d’écoute anglo-saxon Echelon est le plus important du monde.

Il comprend des bases d’écoute terrestres, un sous-marin capable d’écouter les câbles de télécommunication posés au fond des mers et de gigantesques satellites d’écoute capables d’intercepter les communications radio ou satellitaires.

Ces satellites géostationnaires (Vortex Magnum / Mentor / Orion) ont des antennes paraboliques pouvant atteindre 150 m de diamètre.

Espionner les Terriens

Les techniques de surveillance spatiale sont déjà très performantes mais de nouveaux outils sont à la disposition de 007 : internet et les téléphones portables.

Ficher sur le web

007 le sait : les satellites espions, dont le nombre total et les performances précises ne sont pas publics, sont l’une des pièces maîtresses des systèmes actuels d’espionnage.

Ils permettent de voir, d’entendre et même de positionner par triangulation la source d’une émission d'onde radio. Pour autant, ils ne peuvent capter, à eux seuls, toutes les informations… comme celles d’internet qui transitent le plus souvent par câble.

Ce point ne pose guère de problème à Bond vu que les principaux centres névralgiques d’internet (ceux qui octroient et répertorient les adresses web) se trouvent en Californie, et qu’il y a accès via le réseau Echelon.

Le travail lui est même prémâché puisque les données issues du web sont de toute façon triées au siège de la NSA, à Fort Meade, puis analysées si besoin, comme dans le cas des communications téléphoniques.

Réseaux sociaux : les nouveaux profiteurs

"Vodka-Martini !" Une fois encore, James Bond écume les bars.


C’est fou, se dit-il, les gens n’ont plus que cette idée en tête : donner un maximum d’informations sur eux.

Cercle d’amis, photos, goûts, profession, histoire de cœur, ils s’auto-fichent sans penser aux conséquences ou aux usages possibles de cette mine d’informations.

À ce rythme, internet et sa cohorte de réseaux sociaux vont le mettre au chômage technique.

Dernier exemple en date : en août 2011, trois Américains ont montré qu’en utilisant les photos de Facebook et un logiciel de reconnaissance faciale (comme ceux que possèdent Google, Facebook ou Apple), il leur était possible d’identifier n’importe quel étudiant marchant dans leur université et de trouver ses centres d’intérêt ou le début de son numéro de sécurité sociale.

Du web à la réalité, il n’y a même plus un pas.

Infos recoupées, internautes fichés

En plus des informations mises consciemment sur internet, sur les profils Facebook par exemple, il y a celles que les gens donnent sans y penser au travers des mails, des achats faits en ligne ou des recherches faites sur Google (mots recherchés, films visionnés…).

Ces jeux de données - qui n’ont fait que s’accroître avec l’apparition des Smartphones - sont mémorisés par les moteurs de recherche et associés à l’adresse IP de l’ordinateur, voire aux individus quand ceux-ci naviguent après s’être connectés à leur profil ou messagerie.

Or, les États peuvent, par simple demande, accéder à ces informations personnelles. À ce petit jeu, la France n’est pas en reste. D’après le Transparency report de Google (90 % du marché français des moteurs de recherche), elle est la cinquième nation du monde à faire ce genre de demande dans un but de renseignement.

Le téléphone, un vrai mouchard

Finis les plans capillotractés de Q pour poser des micros ou des mouchards ici ou là, puisque tout le monde a dans sa poche un téléphone portable.

Un objet fantastique que de banals petits logiciels disponibles sur le web peuvent transformer en micro. Seule nécessité : posséder le numéro de téléphone.
Et ce n’est pas tout.

Car le portable est aussi un mouchard. Et pour cause : pour qu’un téléphone puisse recevoir un appel, il faut qu’à chaque instant, les opérateurs téléphoniques puissent le localiser.

Ce positionnement se fait grâce aux réseaux d’antennes relais qui retransmettent les communications.

Ces données géographiques sont stockées par l’opérateur mais aussi dans le téléphone lui-même.

Dès lors, elles peuvent être volées par un logiciel ou une application téléchargée (jeux ou autres).

 

La société face à ces nouvelles approches

Ces nouvelles technologies modifient-elles le quotidien de tout à chacun ? Un civil peut-il et doit-il s’en protéger ? 

Le diable est dans le détail

Les services de 007 "ignorent" souvent des lois. Celles-ci pourtant existent.

Par exemple, d’un point de vue légal, les satellites n’ont le droit d’observer la totalité de la surface terrestre (et donc tous les pays) que depuis le 3 décembre 1986. Une règle d’or que les Nations unies avaient établie pour faciliter la compréhension des phénomènes climatiques, météorologiques ou environnementaux globaux.

Mais avec l’accroissement de la précision des images satellitaires, cette liberté d’observer est menacée. Et pour cause : avec une résolution de 10 cm, un satellite espion peut voir distinctement une voiture ou… un individu.

Tant que ces photos sont prises par des satellites militaires, dans le but ultime de défendre une nation, cela reste légal. Mais que se passera-t-il demain si des entreprises, voire des particuliers, obtiennent l’accès à des clichés de cette précision ?

 

 

Des techniques bientôt publiques ?

Les techniques de 007 font désormais irruption dans le monde civil. En 2010 par exemple, l’imagerie satellitaire a été appelée à la barre d’un étrange procès à Nice. Celui d’un meurtre, dénué de cadavre.

Le présumé coupable l’aurait brûlé, en même temps que toutes les preuves, en forêt. Et pour le prouver, l’accusation a demandé les clichés satellitaires pris ce jour-là de la forêt. Pas de feu sans fumée… visible depuis l’espace. Finalement, la cour a refusé d’utiliser les fameuses photos satellitaires… pour cette fois, car la boîte de Pandore est ouverte.

En octobre 2011, la géolocalisation par téléphones portables a elle aussi été utilisé en dehors de l’espionnage ou du secteur militaire : des policiers s’en sont servis pour une course poursuite, et d’autres, pour mettre en défaut certains témoins dont les dires ne coïncidaient pas avec les positions enregistrées par leur portable.

 

La loi s'organise

"Ce message s’autodétruira dans 10 secondes." En matière d’espionnage, c’est une règle d’or : laisser un minimum de traces derrière soi.

Sauf que par les temps qui courent, à moins d’être un agent secret rompu aux techniques d’espionnage, il est de plus en plus difficile de passer incognito ou d’effacer les informations divulguées par mégarde.

Voilà pourquoi, l’Europe cherche actuellement à réformer les règles de protection des données.

Objectif : forcer les entreprises à supprimer certaines informations stockées. En France, les lois visant à protéger la vie privée et le droit à l’image ont été étendues au domaine numérique.

À celles-ci s’ajoute la loi "informatique et libertés" de 1978 dont l’un des grands principes est justement la protection de la vie privée.

Rien à cacher....vraiment ?

Si l’on n’a rien à se reprocher, à quoi bon se cacher ?

Parce que "notre liberté se bâtit sur ce qu’autrui ignore de nos existences," affirmait l’écrivain russe Soljenitsyne. Le respect de la vie privée est d’une telle importance qu’il constitue un droit (article 9 du code civil).

007 lui-même en a conscience : si sa mère - oui : James Bond a une mère - ou sa petite amie du moment pouvaient tout le temps le localiser, ce serait l’enfer…

Finies ses missions ou ses petites histoires top secrètes. Tout ce qui fait la vie d’un espion en somme.

Les entreprises, les publicitaires, les groupes politiques ou religieux, les gouvernements, les services secrets de Sa Majesté eux-mêmes n’ont pas à tout savoir sur lui. Ne reste donc qu’à réveiller l’agent secret qui dort en vous pour faire de même.