7 Janvier 2019

Recyclage obligatoire

Recycler l’air, l’eau, les déchets, c’est aussi vital dans l’espace que sur Terre. En effet, il n’est pas toujours facile de ravitailler une station spatiale, surtout si elle se trouve sur Mars ! Aussi, il faut économiser et réutiliser. C’est pourquoi le domaine spatial est devenu le roi du recyclage. Pour le plus grand bénéfice des terriens qui profitent de ses avancées.

Des enjeux vitaux

Ravitailler ou recycler

Chaque jour, un humain consomme en moyenne 1 kg d’oxygène, 1kg de nourriture et 3 litres d’eau. Pour subvenir à ces besoins, les premières missions spatiales embarquaient des réserves suffisantes. Puis il a fallu ravitailler régulièrement les stations spatiales (russe, puis internationale) avec des cargaisons et des coûts énormes, alors que les missions s’allongent.

Depuis 20 ans, les missions habitées qui se succèdent à bord de la Station spatiale internationale (ISS) ont donc développé des procédés de recyclage de l’air et de l’eau afin d’assurer une autonomie partielle aux équipages. La Station est toutefois encore ravitaillée régulièrement par des vols cargo depuis la Terre, distante de seulement 450 kilomètres. Des séjours plus longs et plus lointains, pour se rendre sur Mars ou séjourner sur la Lune par exemple, ne pourront pas bénéficier de ce service.

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Située à 450 km de la Terre, l’ISS est très souvent ravitaillée. Sur une période de 6 mois, une dizaine de vaisseaux cargos tels que ce Cygnus apportent matériel, eau, nourriture et oxygène aux 6 membres de l’équipage. Crédits : © NASA

De l’air, de l’eau

À bord de l’ISS, un astronaute produit en moyenne plus de 2 litres d’eau « grise » (cuisine, douche…), 1,5 litre d’eau « jaune » (urine) et 0,2 litre d’eau « noire » (contenant des déchets organiques, des excréments). Aujourd’hui, les eaux « grises » et « jaunes », ainsi que l’humidité contenue dans l’air, sont récupérées, filtrées, traitées et réutilisées à 90 %.

L’oxygène (02) est l’autre élément indispensable à la vie humaine. À bord de l’ISS, une partie de l’oxygène est embarquée, l’autre est fabriquée par électrolyse de l’eau. Les Européens et les Américains cherchent par ailleurs à fabriquer de l’O2 à partir du gaz carbonique (CO2) rejeté par la respiration des astronautes, soit par un procédé physique, soit en utilisant la photosynthèse des plantes. Car pour envisager un long séjour dans l’espace lointain, sur Mars par exemple, avec des possibilités de ravitaillement très réduites, l’agence spatiale américaine estime par exemple qu’il faut être en capacité de recycler quasiment 100% de l’eau et 75 % du CO2 !

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Potok, le système de filtration de l’air de la station russe Mir – en service de 1986 à 2001 – (photo) est utilisé pour assainir les hôpitaux. Il débarrasse l’air des microbes et autres micropolluants. Crédits : © NASA

Corvée de poubelle

Aujourd’hui dans l’ISS, les déchets sont stockés dans de grands sacs ou des conteneurs avant d’être embarqués dans les vaisseaux cargos qui rentrent vers la Terre. Soit ils sont traités sur notre planète, soit ils brûlent avec les vaisseaux lors de la rentrée dans l’atmosphère terrestre.

Ces déchets sont composés de restes alimentaires, vêtements, matériel, excréments humains… Cela représente plusieurs tonnes par an ! Et en plus de l’encombrement, la décomposition des déchets organiques peut produire des gaz désagréables voire toxiques.

La recherche spatiale vise donc à réduire leur masse, mais aussi à recycler leurs composants, si possible pour produire de nouvelles ressources. Dans le futur, les astronautes conserveront peut-être les mêmes vêtements antibactériens des mois durant, ils réutiliseront les sacs et conteneurs de rangement comme matériau isolant ou de construction, cultiveront un potager alimenté à partir de leurs déjections et du CO2 qu’ils exhalent…

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Compactés dans des sacs étanches, les déchets de l’ISS restent encombrants. Ils sont parfois stockés plusieurs mois. Crédits : © NASA

Copier la nature

Chacun son rôle

Impossible, comme Matt Damon dans le film « Seul sur Mars », de faire pousser des pommes de terre sur ses seuls excréments. Il y a peu de chance que cela pousse correctement car la plante va manquer de certains nutriments. Surtout,  la « pomme de Mars » risque d’être contaminée par des éléments toxiques contenus dans le sol martien. Elle ne sera donc pas comestible.

Sur Terre, l’écosystème terrestre, c’est-à-dire l’environnement terrestre et toutes les espèces qui le peuplent, produit les ressources nécessaires à son maintien et au développement de ses habitants. Leur développement et leur décomposition forment un cycle qui génère et recycle naturellement l’eau, l’air et alimentent chaque acteur.

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De nombreux laboratoires travaillent à reproduire dans l’espace l’écosystème qui permet la vie sur Terre. Crédits : © University of Arizona

Le pouvoir des plantes

L’ESA s’est inspirée de ce circuit naturel pour faire pousser des microalgues et des plantes à partir de déchets. C’est le projet MELISSA. Le but est de recycler les rejets physiologiques (excréments, urine, CO2) et tous les autres déchets organiques de la mission pour produire de l’oxygène, de l’eau et de la nourriture dans un circuit fermé. Et de le reproduire dans l’espace.

Le dispositif est composé de plusieurs « bioréacteurs » et d’une serre dans lesquels on réalise les différentes étapes de transformation des déchets.
Sur Terre, trois procédés sont déjà en cours de validation avec des rats en guise d’équipage. Hormis le CO2 produit par les rats, tous les autres déchets sont d’origine humaine. L’urine est transformée en nitrate qui nourrit les plantes et/ou les microalgues. Celles-ci absorbent par ailleurs le gaz carbonique (CO2) rejeté par les rongeurs et produisent de l’oxygène (O2) qui renouvelle l’air respiré par les animaux.

La microalgue utilisée dans le cadre de MELISSA, la spiruline, a en plus l’énorme avantage d’être comestible et riche en protéine. Des tests sont menés dans l’ISS depuis 2017. Ils ont déjà montré que la spiruline pouvait pousser en micropesanteur.

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Des applications grandeur nature de MELISSA sont déjà testées, par exemple pour recycler l’eau d’une université marocaine ou celle de la base scientifique Concordia en Antarctique (photo. Crédits : © ESA/IPEV/PNRA-B. Healey

De la pâte à tartiner à partir de… caca

À bord de l’ISS, on recycle l’urine des astronautes en eau pour leur café. Les chercheurs américains et européens essaient en fait de tout recycler à bord, y compris de transformer des matières fécales directement en nourriture ! La NASA a par exemple annoncé, fin 2018, avoir réussi à extraire des nutriments des déchets humains, en avoir nourri un microbe ensuite transformé en une sorte de pâte à tartiner riche en protéine et en gras.

Selon ses concepteurs, ce système serait beaucoup plus rapide que de faire pousser des algues ou des plantes. Il reste toutefois de nombreuses étapes avant qu’il ne soit abouti et qu’il soit possible d’envisager de l’utiliser dans des missions. À commencer par convaincre les astronautes d’adopter cette nourriture… Aujourd’hui, à bord de l’ISS, les Russes n’acceptent pas de réutiliser leur urine en cuisine et disposent d’un système à part pour recycler leur eau.

Avec l'aide de la techno

Consommer moins, recycler plus

La Terre est souvent comparée à un vaisseau spatial. Elle est un système clos et circulaire aux ressources limitées, dans lequel tous les éléments sont interdépendants. La recherche spatiale visant à réduire la consommation des ressources et à les recycler a donc des retombées utiles sur Terre.

Prendre de la hauteur nous permet aussi de changer de perspective et… d’habitudes. Dans l’espace, les astronautes apprennent à consommer moins. Ils se lavent avec 1 litre d’eau quand une douche sur Terre utilise environ 50 litres ! Les industriels développent aussi des produits plus malins, par exemple des pièces mécaniques compatibles avec plusieurs machines ou outils. Une seule pièce interchangeable est fabriquée et embarquée.

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Sous l’atmosphère terrestre (visible ici en bleu), la Terre abrite un ecosystème autonome, qui permet la vie. Crédits : © ESA/NASA

Réutiliser les matériaux

D’autres recherches de la NASA étudient la possibilité d’assécher et de stériliser tout détritus pour le réduire en une sorte de tuile utilisable comme matériau de construction ou pour protéger une surface des radiations.

Mais les déchets organiques ne sont pas les seuls recyclables. Grâce aux progrès industriels, il est possible de réutiliser des matériaux complexes. Fin 2018, la NASA a ainsi présenté Refrabricator, une imprimante 3D capable de transformer n’importe quel déchet plastique en matériau d’impression 3D. Sac plastique, brosse à dent, emballage, etc., tout peut être retransformé en outil, matériel médical, pièce de rechange… Et à plusieurs reprises.

L’impression 3D pourrait aussi utiliser la poussière lunaire ou martienne pour construire des abris sur place. Un projet de l’ESA a par exemple simulé la construction d’un mur en poussière de Lune.

DECLIC ou la magie de la physique

Depuis 2009, l’instrument DECLIC, conçu et réalisé par le CNES, étudie dans l’ISS le comportement des fluides autour du point critique, c’est-à-dire à une température et une pression qui portent un élément dans un 4ème état de la matière, où l’on ne distingue plus l’état liquide de l’état gazeux.
Début 2021, le CNES, en coopération avec la NASA, prévoit l’envoi d’une nouvelle version du dispositif dans l’ISS, DECLIC EVO, dont l’un des objectifs sera d’étudier l’oxydation hydrothermale qui utilise de l’eau à l’état supercritique.

En effet, l’eau supercritique agit comme un solvant qui permet de décomposer les éléments (les molécules en atomes) de tout matériau organique. Sur Terre, des travaux commencent à utiliser l’eau à l’état supercritique pour traiter des déchets de rejets d’hydrocarbure ou décontaminer du matériel médical, mais sur des volumes encore petits.

Dans l’espace, on espère toutefois être un jour capable d’utiliser l’eau supercritique pour récupérer des atomes d’hydrogène, d’oxygène ou de carbone dans des matériaux organiques usagés tels le plastique, le carton, les déchets alimentaires par exemple, pour ensuite les transformer en engrais, en eau, en air conditionné, en carburant

L’instrument DECLIC (une sorte d'armoire électronique) est visible dans le film « Seul sur Mars ». Matt Damon l’emporte avec lui avant de s’aventurer au-delà de la station de vie. © CNES/Twentieth Century Fox