3 Avril 2011

La ronde des géocroiseurs

La surface de tous les corps célestes en témoigne : les collisions sont monnaie courante dans l'espace. Pour nous, la question n'est pas de savoir si, un jour, un astéroïde de grande taille nous percutera, mais plutôt “quand ?”.

Notre planète sous une pluie de débris

Corps célestes faits essentiellement de roches (silicatées ou carbonées), et parfois de métal et/ou de glace, à la dérive dans l'espace, les astéroïdes croisent ou frôlent parfois l’orbite de la Terre. On les désigne alors sous le terme de “géocroiseurs”. Certains s'aventurent si près qu'ils pénètrent notre atmosphère et viennent s'écraser au sol : les météorites sont la trace ultime de leur désintégration dans l'atmosphère. Et les dégâts qu'ils occasionnent alors varient en fonction de leur taille et de leur vitesse.

À quoi ressemblerait une chute d'astéroïdes ?

Un astéroïde d'une dizaine de kilomètres fait irruption dans l'atmosphère. Lancé à plus de 10 000 km/h, le bolide comprime l'air devant lui, ce qui en augmente brutalement la température à 60 000° C, soit 10 fois la température qui règne à la surface du Soleil.

L'impact est d'une violence inouïe. Les survivants en dehors de la zone immédiate de dévastation voient un gigantesque flash de lumière. Aussitôt, un mur de cendres et de débris mortels s’abat sur eux plus vite que le son, et donc… dans le silence le plus total.

Les ondes de choc dans les airs broient tout sur leur passage à des milliers de kilomètres à la ronde. S'ensuivent des tremblements de terre, des raz de marée et des éruptions volcaniques massives.

Et, en une heure à peine, un nuage de ténèbres recouvre la planète. Puis, cette pluie de roches et de débris en fusion retombe, brûlant maisons, villes et forêts. Pendant des mois, la suie et les cendres obscurciront le ciel.


Cette animation vidéo simule une ceinture d’astéroïdes autour d’une planète
Crédit : Jet Propulsion Laboratory (JPL)/NASA

Etat des lieux des tueurs potentiels :

Des bombardements, la Terre en subit quotidiennement. Il tombe chaque jour entre 100 et 1 000 tonnes de matériau de l'espace sur la Terre, heureusement pour nous essentiellement sous forme de poussières.

En août 2010, environ 7 500 “géocroiseurs” ont été dénombrés.

Ce sont des astéroïdes dont le diamètre varie de quelques dizaines de kilomètres à quelques mètres, qui s’approchent de la Terre à moins de 45 millions de kilomètres. Et parmi eux, un bon millier est classé “potentiellement dangereux” du fait de leur taille et de leur trajectoire.

L'astéroïde qui a contribué à faire disparaître les dinosaures il y a 65 millions d'années mesurait environ 10 km de diamètre. Les scientifiques estiment qu'un tel événement se produit généralement une fois tous les 100 millions d'années. Mais, même un tout petit astéroïde de la taille d'une maison pourrait raser une ville.

L’atmosphère : une protection contre les géocroiseurs ?

L'atmosphère gazeuse de notre planète constitue un bouclier efficace contre tout un tas de débris spatiaux qui viennent s'y consumer.

En l'absence d'atmosphère, la surface de la Terre ressemblerait à celle de la Lune : constellée d'impacts et de cratères.

Mais cette protection a ses limites. Ainsi, le 30 juin 1908, un astéroïde a traversé l'atmosphère jusqu'à exploser à une dizaine de kilomètres au-dessus du sol, dans la zone de la Tunguska en Sibérie.

Ce météore, dont la taille est estimée à une cinquantaine de mètres de diamètre, est intéressant car il donne une bonne idée de ce que peut arrêter notre atmosphère.

Toutefois, d'autres facteurs entrent également en compte (vitesse, angle de pénétration dans l'atmosphère, composition de l'objet…). Les astronomes estiment qu'il se produit ainsi chaque année dans l'atmosphère une explosion de l'ampleur de celle d'une bombe d'Hiroshima.

Apophis : l'astéroïde qui pourrait faire de sérieux dégâts

Découvert en juin 2004, Apophis est un beau bébé de 270 m de longueur pour environ 27 millions de tonnes.

Il se déplace à 5 km/s sur une orbite voisine de celle de la Terre, dont il croise la trajectoire. Dans un premier temps, les mesures ont conclu à une probabilité non négligeable de collision avec la Terre le vendredi 13 avril 2029 ; pour la première fois un astéroïde atteignait le niveau 4 sur l'échelle de Turin.

Une échelle graduée de 0 à 10 exprimant à la fois le risque d'impact et le potentiel destructeur d'un astéroïde.

Cependant, quelques jours plus tard, de nouvelles observations ont permis de recalculer sa trajectoire et ont revu le risque de collision à la baisse. Il n'est plus que d'une “chance” sur 250 000, et pas avant 2036.


Cette animation représente les orbites de la Terre et d'Apophis jusqu'au moment où Apophis passera près de notre planète, en 2039.

Apophis étant plus petit que la Terre, son orbite s'en trouvera déviée après cette date. © CNES/SPACE BEL

Y’a-t-il un surveillant ? 

Plus on détecte tôt un astéroïde, plus on dispose de temps pour réagir. Aussi, de nombreux télescopes braqués vers les cieux cartographient, recensent et identifient ces cailloux de l'espace. La NASA s'est vue donner comme objectif par le Congrès américain de détecter tous les objets d'une taille supérieure à 140 m d'ici 2020.

Les délais de la détection

Les astronomes estiment qu'ils ont découvert pratiquement tous les astéroïdes d'un diamètre supérieur à 1 km gravitant non loin de la Terre - environ 900 sur un total d'un millier. L'arrivée de tels monstres peut être estimée une trentaine d'années avant qu'ils ne menacent la Terre.

En revanche, ceux qui ne mesurent qu'une centaine de mètres (mais néanmoins capables de faire de gros dégâts à l'échelle locale) sont encore très nombreux à ne pas avoir été repérés.

Au pire, un télescope braqué dans la bonne direction ne pourrait repérer de tels astéroïdes que quelques jours avant qu'ils ne soient sur nous. Et parfois, on ne les repère même qu'après coup.

Ainsi, le 14 juin 2002, un astéroïde de 120 m de diamètre, baptisé “2002 MN” nous a frôlés de 120 000 km (soit seulement 1/3 de la distance Terre-Lune), et n'a été repéré que trois jours après son passage.

L'équivalent en termes d’échelle d'une balle qui traverserait notre manche sans nous toucher le bras.

Comment surveille-t'on ?

Le principe de détection des astéroïdes est simple : on braque un télescope vers le ciel pendant plusieurs minutes et on analyse les images par ordinateur.

Les étoiles et les corps qui se déplacent à vitesse très lente ou demeurent immobiles apparaissent sous forme de points.

Les astéroïdes, eux, se présentent à l'image sous la forme de traînées lumineuses.

Toutefois, cette observation n'est possible que dos au Soleil, car ce dernier est très lumineux et éblouit donc nos télescopes. De fait, seuls 60 % du ciel sont sous surveillance à un instant donné.

Les astronomes misent donc sur le fait que la plupart des objets passeront à un moment ou un autre dans la zone qu'ils scrutent. Cette surveillance est effectuée par des observatoires au sol, des télescopes dans l'espace, mais aussi grâce à la contribution bénévole de milliers d'amateurs qui passent des nuits les yeux dans les étoiles.

Peut-on prédire ?

Sur leurs ordinateurs, les astronomes relèvent un maximum de points correspondant à l'orbite suivie par le caillou qu'ils observent, ce qui leur permet de prédire la forme générale de son orbite (ellipse, parabole, hyperbole...).

Des calculs leur permettent ensuite d'affiner ces trajectoires.

Toutefois, cette science est comme la météorologie, soumise à de nombreux paramètres difficiles à estimer précisément, dont l'effet se fait de plus en plus sentir au fil du temps.

L'astéroïde peut entrer dans le champ de gravitation d'une planète, percuter un autre astéroïde ou être dévié sous l'effet du rayonnement solaire.

De ce fait, plus l'échéance de la collision est lointaine, plus les mesures de risque d'impact sont imprécises.

Les astronomes parviennent tout de même à prévoir des trajectoires de collisions possibles sur des périodes allant jusqu'à 20 voire 50 ans.

 

Les programmes de par le monde

La plupart des programmes d'observation dédiés à la traque d'astéroïdes se situent aux États-Unis ; le LINEAR dans le Massachussetts et le Catalina Sky Survey en Arizona comptent parmi les plus importants.

De plus, les États-Unis investissent dans de grands projets d'observation astronomiques, tels que les télescopes américains Pan-STARRS à Hawaï : 1,4 milliard de pixels par image, et capables de balayer une surface équivalente à tout le ciel quatre fois par mois !

Ou encore le télescope américain LSST qui sera installé au Chili, et sera capable de détecter des objets d'une centaine de mètres de diamètre seulement.

Le reste du monde en compte une poignée : en Italie, outre le CINEOS, il existe la Sagra Sky Survey, un observatoire piloté par des astronomes amateurs.

L'ESA conduit également un programme de tests à l'observatoire de Tenerife en Espagne,  durant 4 nuits par mois.

La Terre contre-attaque

Si une trajectoire de collision est détectée, l'homme pourrait tenter quelque chose pour éviter la catastrophe. Toutefois, les scénarii n'existent que sur le papier. Aucun test n'a jamais été effectué...

L'impacteur : le scénario le plus crédible

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Illustration de l’entrée dans l’atmosphère d’un astéroïde © Don Davis/NASA

Si jamais nous repérons un caillou qui aurait la mauvaise idée de rendre visite à la Terre, la moins mauvaise des solutions serait... de jouer aux billes.

Autrement dit d'envoyer un gros satellite de plusieurs centaines de kilos s'écraser dessus à grande vitesse (plusieurs km/s). La pichenette pourrait ainsi dévier la trajectoire de l'astéroïde afin qu'il nous frôle sans nous toucher.

Le crash d'une sonde sur une comète a déjà été tenté lors de la mission Deep Impact en 2005. Mais l'objectif était d'analyser la composition de la comète et non de la dévier.

Car pour déjouer l’adversaire, il faut le connaître : dans un astéroïde poreux, le projectile risquerait de se planter comme une bille dans du polystyrène ; alors qu’il modifierait profondément la trajectoire d'un bloc de fer très dense.

Détail d'importance : contrairement à ce que l’on voit dans les films, mieux vaut ne pas utiliser de charge atomique pour détruire le géocroiseur : les éclats radioactifs pourraient en effet retomber sous forme de pluie sur Terre…

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L’échelle de Turin, graduée de 0 à 10, exprime à la fois le risque d'impact et le potentiel destructeur d'un astéroïde. © Richard P. Binzel, MIT

Autres scénarios-fictions

De nombreux autres scénarios ont été suggérés. Par exemple, envoyer une équipe de Space Cowboys forer l'astéroïde pour y placer des charges explosives comme dans le film Armageddon.

Ou encore utiliser les forces de gravitation d’un satellite situé à proximité pour le dévier petit à petit de sa trajectoire (technique du tracteur gravitationnel).

D'autres ont pensé à amarrer une voile solaire à la surface de l'astéroïde, de manière à ce que les photons lumineux le poussent hors de sa trajectoire.

D'autres encore imaginent une variante de cette dernière stratégie en changeant la manière dont les photons se réfléchissent sur l'astéroïde... en lui mettant une bonne couche de peinture ou en plaçant une flottille de voiles à proximité pour faire de l’ombre.

Autant de solutions qui ont le défaut de nécessiter non seulement une excellente connaissance de l'astéroïde, mais également de le repérer quelques années auparavant afin de les mettre en œuvre.

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Dans le film de fiction Armageddon, 4 astronautes sont chargés de placer une charge nucléaire au sein d’un astéroïde pour le détruire. © Gaumont Buena Vista International

Trouvez-moi le responsable !

Tous ces scénarios sont bien beaux. Mais comment les mettre en œuvre ? Qui pour financer ces projets ? Qui pour les diriger ? Quels pays pour les mettre en œuvre ? Quelle technologie utiliser ?

Aujourd'hui, il n'existe pas encore de coordination internationale en place prête à gérer ce genre d'événements. Le problème est en cours de discussions aux Nations unies dans le cadre du COPUOS (Comité pour un usage pacifique de l'espace extra-atmosphérique).

On l’aborde aussi dans de nombreuses associations et comités tels que le Planetary Defense Committee - l'association des explorateurs de l'espace - ou la Fédération internationale d'astronautique.

Mais il faudra encore patienter quelques années avant qu'émergent les structures et les chaînes de commandement permettant de faire face à ce type de situation.