23 Octobre 2019

La chasse aux pannes est lancée

Un cheveu sur l’objectif d’une caméra ou un matériau qui laisse s’échapper des molécules quand il chauffe, et c’est potentiellement un instrument spatial qui ne peut plus remplir sa mission. Alors pour éviter cela, des experts, comme ceux de l’agence spatiale française, sont présents de la conception du satellite à son lancement, pour expertiser, tester, puis nettoyer toutes les pièces qui le composent. Et intervenir en cas de problème.

Prévenir les couacs

Pas question de faire redescendre un satellite de son orbite pour changer une pièce ou réparer une panne ! Alors dans le milieu spatial, on s’assure de la fiabilité et de la robustesse de tous les éléments des engins qui seront envoyés dans l’espace. Au CNES, à Toulouse, c’est le rôle des experts du Service Laboratoires et Expertise.

Rendre spatialisables tous les éléments d’un satellite

Que ce soit une diode ou un circuit électronique, tous les éléments qui vont être intégrés à un satellite doivent être spatialisables, c’est-à-dire pouvoir résister à de nombreuses contraintes : écarts de températures, vibrations lors du décollage de la fusée, radiations… Toutes ces pièces doivent être robustes et fiables. Il n’est pas possible d’aller à 800 km dans l’espace pour refaire une soudure ! Il leur faut donc passer un maximum de tests, en laboratoire.
D’autant qu’aujourd’hui la plupart des composants d’un satellite sont achetés dans le commerce « grand public ». L’automobile ou la téléphonie mobile par exemple sont des secteurs innovants, dont profite en effet l’industrie spatiale.

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Au-delà de l’atmosphère terrestre, dans le vide spatial, les satellites subissent diverses contraintes comme les radiations venant du Soleil. Ce sera ainsi le cas pour le satellite européen Solar Orbiter. Crédits : © ESA/C.CARREAU, 2015

Un laboratoire ultra sophistiqué

Au CNES, ce sont les experts du Service Laboratoires et Expertise, basé à Toulouse, qui sont chargés de ces tests. Ils sont spécialisés dans –presque- tout : optique, électronique micro et nano technologies ou encore physique des matériaux. Ils travaillent dans un laboratoire de 1200 m2 pourvu d’équipements ultra sophistiqués : spectromètres, microscopes à balayage électronique, tomographe à rayons X (scanner qui permet de reconstruire l’image de l’intérieur d’un objet)…
Ils doivent, par exemple, analyser des puces électroniques aussi petites qu’une pièce d’un centime dans lesquelles se trouvent plusieurs milliards de cellules. « Pour travailler à une si minuscule échelle, il faut des moyens spéciaux, explique Jean Garnier, Responsable des Moyens Techniques et Opérationnels. Des microscopes capables de grossir plusieurs milliers de fois ou qui permettent de tester le bon fonctionnement de chaque micro parcelle de la puce. »

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Le tomographe à rayons X permet de reconstituer en 3D l’intérieur d’un objet, comme un téléphone, sans avoir à ouvrir ce dernier ! Crédits : ELEMCA

Prévoir les stocks

Un composant qui intégrera un satellite n’est jamais acheté à l’unité, mais par lot de plusieurs centaines d’unités. Les experts en extraient ainsi une réserve, d’une dizaine d’exemplaires, qui serviront à réaliser les tests. Et attention, tous doivent être issus du même lot, pour certifier que le composant qui partira dans l’espace soit absolument identique à ceux qui ont été testés. Une précaution utile, comme se souvient Jean Garnier : « Une fois, un composant s’est avéré plus fragile que prévu. Et la cause est surprenante : la personne qui devait procéder à son montage lors de sa fabrication était malade. Elle avait donc été remplacée par l’un de ses collègues. Et c’est ce changement qui a fragilisé la pièce. Le collègue n’avait pas mal fait son travail. Il avait juste un geste un peu différent, ce qui a suffi à fragiliser la pièce dans les conditions extrêmes de l’espace; » Incroyable !


R&T

La Recherche et Technologie fait aussi partie du travail des experts du CNES. Ils se tiennent au courant des nouveaux équipements et de leurs usages. Ils expérimentent de nouvelles technologies, comme l’impression additive « 3D » avec du titane. « On teste que les pièces ainsi fabriquées soient fiables et résistantes. »

Faire place nette

Poussières, fibres textiles, molécules indésirables… Les sources de contamination sont multiples. De nombreux moyens sont donc mis en place pour limiter au maximum les risques de pollution des satellites et instruments spatiaux.

Bienvenus en salle propre !

Il faut d’abord nettoyer le matériel avec de l’azote sec sous pression et de l’alcool. Puis s’équiper : charlotte sur la tête, sur-chaussures, blouse. Là, seulement, vous pouvez entrer dans l’une des salles propres du CNES, où l’on assemble les satellites et leurs instruments. Dans ces salles, la pression, la température, l’humidité sont constamment contrôlées. Pas question de polluer les équipements avec des particules, que ce soient des cheveux, des fibres de tissus ou de petites poussières.
Des prélèvements sont également réalisés pour détecter des bactéries ou des champignons. Et ne soyez pas surpris de croiser dans ces salles des sortes de miroir. Il s’agit de « témoins » qui capturent les impuretés de l’air qui sont ensuite analysées (quantité, nature…).

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Le satellite Taranis est préparé sous une tente ISO 5 : port du masque obligatoire ! Les salles propres sont classées par rapport au nombre de particules dans l’air, sur une échelle qui va de ISO 1 (la plus propre) à ISO 9. Crédits : © CNES/TRONQUART N.

Traquer même l’invisible

La plupart des matériaux dégazent, c’est-à-dire qu’ils laissent s’échapper des molécules, lorsqu’ils chauffent notamment. C’est ce même phénomène qui provoque l’apparition d’une pellicule grasse sur les pare-brises intérieurs des voitures neuves. Et dans l’espace, cela peut provoquer des pannes ou des dysfonctionnements.
C’est pourquoi chaque matériau est testé : il est chauffé à côté d’une microbalance à quartz, qu’on fait ensuite vibrer. Le quartz est un cristal qui a la propriété d’osciller de manière constante, stable (quand on le stimule électriquement). Donc s’il vibre différemment, cela signifie que des molécules s’y sont déposées. « On analyse ainsi la quantité et la nature des molécules dégazées, explique Jean Garnier. Et on conseille les ingénieurs sur l’utilisation ou non de ces matériaux pour les futurs satellites. »

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Un quartz « contaminé » par des molécules vibre différemment qu’un quartz « propre ».

Moyens mobiles

Parfois, les experts du CNES doivent aussi « dépolluer » des équipements dans d’autres laboratoires. Voire une fusée, comme le raconte Delphine Faye, experte en contamination au CNES. « C ‘était pour les satellites d’observation Pléiades. Dans la fusée, ils devaient être placés dans la coiffe, avec les optiques orientées vers le haut et sans protection. Donc au moment de leur installation, en salle propre, la coiffe doit être parfaitement nickel ! C’était ma mission : l’inspecter sous toutes ses coutures et réaliser des prélèvements avec des scotchs ou des chiffons spéciaux. » Un travail minutieux mais nécessaire pour éviter qu’une poussière ne se retrouve sur le capteur du satellite en orbite !  Pour travailler hors du laboratoire, Delphine possède des équipements divers : lampes à rayons ultra-violets, endoscopes (mini caméras montées à l’extrémité d’un tube pour observer l’intérieur des objets), pinceaux... « Dont un pinceau à un seul poil pour nettoyer avec précision les surfaces sensibles comme celles des détecteurs qui n’aiment pas les contacts. »

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Le télescope spatial Herschel est observé sous rayonnement ultra-violet, pour révéler toutes les impuretés qui s’y seraient cachées. Crédits : © CNES/ESA/Arianespace.Optique vidéo CSG/T vallée

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Le parachute qui équipera le rover ExoMars est stérilisé dans un four, pour tuer tous les microbes qui auraient pu contaminer Mars. Le robot doit se poser sur la planète en 2021. Crédits : ESA–M. Cowan

Protection planétaire

Lutter contre la contamination, c’est aussi préserver l’environnement des planètes : protéger la Terre d’éventuelles bactéries extra-terrestres ; et protéger les autres corps célestes de nos micro-organismes terriens. Dans les années 1960, un traité a été rédigé et ratifié par quasiment toutes les nations menant des activités spatiales dont le France : c’est la base légale du COSPAR, un comité scientifique international, qui impose des recommandations en termes de protection planétaire. Des règles qui évoluent en ce moment avec les prochains retours sur Terre d’échantillons extra-terrestres et l’exploration plus lointaine de notre Système solaire.

Mener l’enquête, parfois en urgence

Malgré toutes les précautions prises, des incidents ou des pannes peuvent survenir. Les spécialistes du Service Laboratoires et Expertise doivent alors investiguer pour en trouver l’origine. Et parfois en urgence pour permettre aux satellites de décoller… à temps.

Une défaillance ! Pourquoi ? Comment ?

Quand arrive une panne, les experts du CNES sont chargés de mener l’enquête pour en trouver la cause. Ces défaillances peuvent avoir des origines diverses, comme l’illustre Jean Garnier : « Je me souviens d’un lancement de la fusée Ariane 5, annulé dans les dernières secondes. Normalement, au moment du décollage, un boitier envoie un signal électrique pour témoigner que les bras tenant la fusée se sont bien repliés. Or, là, ce boitier était défectueux, ce qui avait stoppé le tir… même si les bras s’étaient bien détachés. Le boitier nous a donc été envoyé par avion. On l’a ouvert, disséqué, analysé… Et on a découvert que c’était une colle, que des agents avaient appliquée pour le rendre plus étanche, qui avait coulé et endommagé le système. »

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Ariane 5 décolle depuis Kourou avec à son bord 2 satellites de télécommunication (août 19). 6 secondes avant que le moteur ne s’allume et que la fusée ne s’élève, les bras se détachent.

Investiguer dans l’urgence

Une mission spatiale se prépare pendant des années, et pour certaines, les fenêtres de lancement sont réduites. Pour Mars par exemple, elle ne s’ouvre que tous les 2 ans. Alors pas question de prendre du retard.  Il arrive donc que les défaillances doivent être analysées en urgence. Comme lors de la mission martienne InSight qui a décollé en 2019. La veille de la fermeture de l’instrument principal dans une capsule de transport, les personnes responsables de la soudure de la capsule ont eu des doutes : comment fallait-il régler le laser pour réaliser la soudure sans qu’il n’endommage la capsule ? Pas question de prendre de risque ! Un échantillon a donc été envoyé au laboratoire d’expertises du CNES. « Nous y avons passé la nuit, se rappelle Jean Garnier, pour réaliser tous les tests. » Et InSight a pu être encapsulé sans problème dès le lendemain matin.

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L’instrument InSight de la mission SEIS a été enfermé dans une sphère pour son transport sur Mars. Crédits : IPGP/PIRAUD Hervé, 2015

Une grosse équipe pluridisciplinaire

Optique, thermique, mécanique, électronique, nanotechnologie… Les experts du laboratoire doivent être capables d’intervenir dans tous les domaines. Ils sont ainsi une soixantaine de spécialistes, ingénieurs et techniciens du CNES, mais aussi experts d’autres laboratoires ou d’industries partenaires. Pour ainsi être polyvalent et réactif.